Coup d’essai, coup de maître. Avec son premier long-métrage, la réalisatrice Julia Ducournau entre dans la cour des grands, auréolée bien avant la sortie du film d’une réputation plus que flatteuse glanée au fil des festivals dans lesquels Grave a été projeté, et bien souvent primé. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette réputation est loin, très loin, d’être galvaudée.
L’histoire de Grave nous présente Justine, jeune fille végétarienne comme sa sœur et ses parents, qui intègre une grande école vétérinaire, comme sa sœur et ses parents (la redondance de syntaxe n’étant ici pas anodine). A son arrivée, le bizutage commence. Parmi les réjouissances figure l’ingestion d’un rein de lapin. Dégoûtée, Justine va l’avaler à contre-coeur, avant de prendre petit à petit goût à la chair fraîche, à la viande crue, au cannibalisme.
Comme dans les meilleurs films de genre (Massacre à la tronçonneuse, L’Exorciste, Zombie, pour n’en citer que quelques-uns), l’horreur qui se déplie au fur et à mesure des scènes de Grave n’est là que pour développer un propos de fond, à travers l’image, le ressenti et la viscéralité. Car in fine, le long-métrage nous parle à la fois d’éveil à la sexualité, d’acceptation de notre propre part d’animalité, de passage à l’âge adulte et de lutte contre le déterminisme, avec une intelligence formelle renversante et un ton extrêmement singulier. Construisant son cadre avec la méticulosité d’une orfèvre, travaillant le son dans le but de provoquer une réaction tripale chez le spectateur, proposant des scènes d’horreur vraiment dérangeantes (certaines d’entre elles ayant d’ailleurs provoqué des évanouissements au Festival de Toronto, ajoutant au caractère sulfureux du film), Julia Ducournau, loin de se contenter d’emprunter le sillon tracé par David Cronenberg (l’une de ses références affirmées) s’en démarque au contraire par un style oscillant sans cesse entre la réalité la plus crue et un onirisme à la lisière du fantastique (voir à ce titre la sublime séquence de danse), la démarquant de son modèle canadien par une démarche totalement personnelle.
Cette démarche ne ménage à aucun moment le spectateur, mais le place à l’inverse dans une situation d’inconfort permanent, balancé entre l’interrogation, le rire, le malaise, le dégoût, pour le laisser finalement bouche bée devant une telle maîtrise formelle au service d’un scénario en béton armé qui redonne au cinéma son sens initial : provoquer l’émotion par la seule force des images et du son.
Dans le rôle de Justine, la jeune Garance Marillier crève l’écran. A la fois fragile, tendre, monstrueuse et prédatrice, l’actrice en remontre à nombre de comédiennes en activité depuis longtemps. Une véritable révélation, qui porte le film sur ses frêles épaules, et qui, à l’instar de sa réalisatrice, n’a pas fini de faire parler d’elle.
Drame ? Comédie ? Film d’horreur ? Teen movie ? Grave, c’est un peu tout cela à la fois. Et même un peu plus.
Ah et j’oubliais : le dernier plan du film, cadrant le père de Justine (incarné par le toujours incroyable Laurent Lucas) n’a pas fini de vous hanter après la projection…