Gravity est un grand spectacle hollywoodien, un magnifique film Méliès qui ne parvient pas à atteindre le degré de perfection narrative en termes de limpidité, de simplicité et d’épure, mais qui s’y approche de très près. Il est dommage que Cuaron ait conservé quelques conventions, de mise en scène (la musique n’était pas utile, pour un film qui cherche la peur du silence) et narratives (quelques dialogues, situations et symboles superflus ou maladroits).
La grande force du film est de ne pas se faire engloutir par ses prouesses techniques. Il n’est jamais dans la démonstration, dans la prétention du tour de force, mais se concentre uniquement sur ce que ces prouesses peuvent engendrer en matière de cinéma. A ce niveau-là c’est assez bluffant et vertigineux. A l’image de cet incroyable plan séquence interminable qui ouvre le film, le film est un ballet d’une élégance rare. La chorégraphie des corps épouse celle de la caméra qui virevolte avec une légèreté et une grâce infinie à la manière d’un film de Donen où le sol se serait dérobé sous les pieds des danseurs. Cuaron parvient à retranscrire parfaitement la pesanteur, la gravité, l’annulation des masses, cette sensation d’inexistence du poids des éléments : combinaisons, satellites, machines diverses et la planète terre, gigantesque et omniprésente en fond de plan. Avant de faire réapparaitre cette notion brutalement lorsqu’il est question de collision, d’attraction ou de répulsion.
Si le film emprunte au musical, au survival, il est avant tout un road movie. La référence, ou le clin d’œil, presque superflu, à Vanishing Point par l’intermédiaire du nom du personnage de Clooney , Kowalski, n’est pas un hasard. Le film se déroule en étant à la fois la représentation synthétique du genre, tout en se déployant comme l’exact l’opposé, et en visant à toucher une sorte d’abstraction absolue. Ainsi on avance de point en point, de satellite en satellite, pour rejoindre l’objectif ultime du road movie, le come back home, rejoindre la planète Terre. Mais ici la route n’est plus matérialisée, dessinée, tracée. Il n’y a plus ces fameuses intersections, ses longues lignes droites et ses quadrillages labyrinthiques. Il n’y a plus les paysages qui défilent, il n’y a plus le jour, il n’y a plus la nuit. Il n’y a plus rien, plus que le vide, plus que le noir dense de la galaxie, plus que l’espace infini que recherchaient les cow boys dans les déserts américains, et Kowalski à bord de sa Dodge Challenger sur les routes de l’ouest. L’homme au milieu de rien. Mais il reste le point de fuite. Celui qui était au fond du plan, au bout de la ligne droite, que l’on ne percevait presque pas, minuscule, inaccessible, ici est là, immense, en fond de plan, avec pourtant cette même sensation d’inatteignable. C’est la Terre, lumineuse, démesurée, seul point visuel et émotionnel, seul repère auquel se rattacher dans cet espace homogène.
Mais la grande différence avec les films des années 70, c’est la direction choisie, le sens du parcours.
Autrefois on prenait la route pour se perdre, pour fuir ou se fuir. Quelque fois pour se retrouver mais souvent le chemin ne menait à rien ou plutôt à la mort. Un départ. Ici le film décrit un retour. De la mort vers la vie. Au fond le film ne parle que d’une petite chose, quelque chose de très humain, la renaissance, la régénération d’une femme, ici clairement matérialisée lors d’une dernière séquence un peu trop facile en terme de symbolique, mais toutefois réussie. Une femme qui était partie pour se perdre, pour oublier, pour fuir un passé, un souvenir trop douloureux, et qui face au mur, finira par faire le chemin inverse, et parvenir à aller de l’avant, à revivre.