Remarque préliminaire : critique écrite en 2021, à la sortie du film.
Le film de Sebastian Meise est passé relativement inaperçu parmi les sorties de 2021, et c'est bien dommage car c'est un film essentiel. Il dépeint la prison comme on ne l'a jamais vue au cinéma, et montre des aspects de l'Histoire du XXe siècle trop peu connus, ou bien trop tus. C'est un film important pour l'Histoire LGBT+, mais aussi un bijou visuel et un exemple de narration virtuose, à la chronologie non linéaire.
On suit le personnage de Hans, condamné au début du film à une quinzaine de mois de détention pour avoir enfreint le paragraphe 175 qui déclare l'homosexualité illégale. On apprend plus tard que Hans est aussi un rescapé des camps de concentration, où il a été enfermé pour l'exacte même raison qui fait qu'il est condamné par la justice allemande d'après-guerre. C'est donc l'histoire d'un homme qui passe toute sa vie d'adulte sous les verrous.
Ici, la prison n'est pas le Mal en soi. C'est une entité immobile, presque neutre, qui évolue dans le temps de concert avec ses protagonistes. Si au début les murs sont nus, les matelas fait de bois dur et l'atelier de travail envahis de vieux uniformes nazis, plus on avance et plus les dessins et effets personnels des détenus viennent orner les murs, plus les matelas sont confortables, plus l'atelier devient une petite usine où l'on fabrique d'innocents draps de lit.
Même les gardiens ne sont pas les tyrans sadiques que l'on voit communément dans les films de prison : ils sont simplement le corps de la prison et font corps avec le système carcéral. Pareil pour les autres détenus, d'habitude présentés comme des ennemis potentiels, des taulards durs à cuire et coléreux. Là, ce sont des individus partageant le même calvaire, et oui il y a des tensions, mais elles ne sont pas le centre du film ni même des ressorts narratifs. En soi, elles font partie du décor et on se concentre davantage sur les relations entre des humains enfermés ensemble et devant composer ensemble avec leurs problèmes.
Hans change avec la prison. Émacié, muet et presque chauve en 1945, il devient en 1968 un habitant familier du pénitencier et se meut entre les murs comme s'il était à la maison. Il s'y fait des amis, des amants, il y connaît la colère, la solitude absolue dans l'enfer du cachot sombre, il y connaît l'amour, la déception et la solidarité avec celui qui passe d'ennemi homophobe à meilleur ami et compagnon de cellule, Viktor. Et la prison aussi évolue avec lui et prend des allures de domicile : Hans ne cesse de revenir à elle, et elle est plus familière et presque chaleureuse à chaque visite.
Le film est poignant et nécessaire. Il dévoile beaucoup de choses, de manière simple et pure, sans fioritures ni explications, et pourtant il est limpide. Même si cette partie de l'Histoire allemande est très méconnue, chacun peut ressentir l'inhumanité et l'absurdité de ce système qui sanctionne les rescapés des camps de concentration pour le même motif qui leur a valu d'être exterminés. Cette histoire est celle d'un homme à la vie gâchée, chez qui on a créé une dépendance à la prison et qui, même libéré, ne parvient plus à s'habituer à la liberté.