Greenhouse
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Greenhouse

Film de Lee Sol-Hui (2023)

Pas de doute, dans le domaine du thriller qui fut jadis la chasse gardée du cinéma américain, les Coréens sont devenus des maîtres et battent à plate-couture leurs concurrents yankees ! On en a encore là un exemple frappant avec Greenhouse, féroce critique sur la manière dont la société transforme des individus de prime abord ordinaires en personnages dignes des plus grands films noirs tant, à force de pressurisation, ils perdent le contrôle de la situation… souvent pour le pire.


À la voir si douce et bienveillante, Moon-Jung force la fascination. Car sa vie est somme toute chaotique, au point qu’il paraît surhumain qu’elle ait tant d’énergie à donner aux autres. Aide-soignante pour un vieux couple, elle supporte à longueur de journée les réactions autant brutales qu’imprévisibles de la femme qui, dans des accès répétés de sénilité, l’accuse de vouloir la tuer. Heureusement, elle peut toujours compter sur l’infinie gentillesse du mari, devenu aveugle, pour égayer ce quotidien sordide. Le vieil homme considère Moon-Jung comme sa fille et se montre chaque jour reconnaissant pour le soin et le soutien qu’elle prodigue à son foyer – compensant l’absence d’un fils bien plus obsédé par sa carrière que par le sort de ses parents. Lorsqu’elle finit son travail, Moon-Jung rentre dans sa maison de fortune – une serre isolée, équivalente à celle de Burning de Lee Chang-Dong, dans un hommage final évident – où elle loge le temps de faire des économies pour payer son futur appartement. Elle compte en effet accueillir comme il se doit son fils mineur, en détention pour un crime inconnu et bientôt libérable… Bref, il faudrait un quasi-miracle pour désengluer Moon-Jung de la mouise environnante. Elle compte justement sur un cercle de parole thérapeutique – substitut au psy qu’elle n’a pas les moyens de payer – pour se décharger un peu. Sauf qu’elle y fait la rencontre d’une jeune femme, émotionnellement fragile, qui va s’attacher de manière si obsessionnelle et intrusive à elle que son penchant pour le harcèlement ne va bientôt plus faire de doute. Alors que la pression s’accumule de toutes parts, un coup du sort vient rajouter son piment à l’ensemble. Il n’en fallait pas plus pour que le film bascule et change de vitesse, renversant les rôles de chacun, sauce Parasite de Bong Joon-ho.


Lee Sol-hui, jeune réalisatrice prometteuse, parvient avec ce caractéristique génie coréen à mélanger les genres pour mieux pointer du doigt les responsabilités et contradictions du système. En propulsant son héroïne dans un crescendo scénaristique parfaitement troussé, où le drame social croise le chemin du thriller, de la comédie noire voire de la tragédie grecque, Greenhouse distille avec brio les indices d’une crise existentielle complexe, ambivalente et profonde, qui conduira Moon-Jung à payer le prix ultime. Dans un fascinant jeu de miroir, la dégénérescence de la maladie mentale et le manque de moyens alloués à sa prise en charge ne pourra qu’amener la situation à dégénérer à l’extrême, de façon nerveuse et brûlante. Kim Seo-hyung, qui a récemment remporté le César coréen de la meilleure actrice, campe de façon spectaculaire ce personnage de femme dans la tourmente, se montrant tour à tour timide, chaleureuse, troublante… au point qu’on ne sait plus vraiment, à la fin, si elle ne s’est pas définitivement égarée dans la folie.

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le 9 nov. 2023

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