[SanFelice révise ses classiques, volume 4 : http://www.senscritique.com/liste/San_Felice_revise_ses_classiques/504379]
Oui, d'accord, le Mogwaï, il est mignon, il est craquant, avec ses grands yeux, sa petite bouche, ses grandes oreilles, sa fourrure, etc.
Mais honnêtement, le Mogwaï, moi, je m'en bats l’œil.
Parce que si je regarde Gremlins, c'est pour les Gremlins.
Comme dans tout bon film de ce genre, ce sont bien les méchants qui sont les plus intéressants. Et encore plus quand c'est le destructeur Joe Dante aux commandes.
Car les Gremlins sont des destructeurs. Il faut les voir raser une maison au volant d'un bulldozer. Il faut les voir ravager l'ordre social de la ville. Ils s'attaquent aux feux rouges et ils créent un désordre qui vise d'abord à réduire à néant l'ordre social de la petite ville.
Comme souvent dans sa filmographie, Dante s'attaque à ces petites villes calmes et sans histoire, mettant à jour leurs hypocrisies, la ruine du rêve américain, les relations complexes entre voisins, etc.
Déjà, ici, il choisit comme personnages principaux les membres d'une famille qui est la négation même de l'American dream. Les Peltzer ne produisent rien (commercialement parlant), n'ont aucune ambition, tout échoue autour d'eux, l'exact opposé du sous-directeur de la banque, par exemple, qui vise la place suprême et qui représente beaucoup mieux le modèle de la réussite que voudrait présenter le pays. Et pourtant, dans la lignée assumée d'un Capra dont l'influence irradie tout le film, ce sont ces doux rêveurs un peu marginaux (et franchement marginalisés par les autres) qui sont les personnages principaux du film.
Alors, Dante s'attaque au système économico-social américain en général, et prend l'exemple du Noël commercial en particulier. Se déroulant en période de Noël, le film est une attaque en règle contre l'exploitation économique faite généralement de cette fête. Les Gremlins détruisent Noël à travers ses symboles : un monstre caché dans le sapin, un autre suspendu à une guirlande, un troisième qui dévore les petits bonhommes en biscuit, sans oublier l'hilarante chorale de Gremlins baragouinant une parodie de chant de Noël au profit d'une irréductible mégère.
Partant de là, il était évident que le film devait se finir dans un magasin de jouet, qui devient la cible finale d'un petit monstre à crête qui va achever un Noël déjà bien ruiné.
Que l'on se comprenne bien, donc, comme beaucoup des films de Dante, Gremlins est un film qui, sous des aspects de divertissement agréable, cache un bâton de dynamite politique. S'accrochant au cinéma classique, à la fois à Capra, mais aussi au cinéma burlesque (dont le ressort était souvent la destruction de quelque chose d'apparemment stable), et le cinéma fantastique des années 40-50, le réalisateur signe un petit bijou passionnant, sans le moindre temps mort, et absolument hilarant. Parce qu'en effet, les Gremlins sont particulièrement drôles. Il faut voir la scène du bar, quand ils se saoulent, jouent aux cartes ou fument trois cigarettes à la fois. Il faut voir le professeur du lycée, retrouver avec une seringue plantée dans le cul. Et il faut voir l'horrible mégère et son fauteuil. Tant de passages absolument jouissifs. Une sorte de plaisir défendu : on sent que le cinéma de Dante lui permet de faire des choses qu'il aurait adoré faire dans la réalité. Un cinéma de règlement de comptes, où il se fait plaisir (et nous aussi).
Un cinéma de cinéphile enfin. Le film est émaillé de références directes, de films que l'on voit à la télévision (La Vie est Belle, de Capra, ou L'invasion des profanateurs de sépulture de Siegel), de films dont on voit des allusions (Planète interdite), et de cette fameuse scène où les petits monstres incontrôlables sont enchantés par les nains de Blanche-Neige. Au cinéma politique s'associe donc un hommage au cinéma de Dante, à ces films qui ont dû avoir de l'influence pour lui.
Le tout donne un grand film, un divertissement hilarant et pas si innocent.
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