Ce qui frappe en premier lieu, c'est la beauté de la mise en scène. Il ne s'agit pas seulement de l'image, superbement travaillée, mais de l'harmonie subtile entre le travail visuel et la gestion du temps. Comme si tout le film évoluait au rythme de son héros à la démarche heurtée, toujours incroyablement calme [ou presque], survolté soudain par les danses complexes auxquelles il s'adonne.

Destins croisés puis unis de deux vies en marge, le jeune danseur handicapé et la jeune prostitué rêvant de mannequinat, puisant sa source dans un récit réaliste aux parfums de polar, histoire de survie finalement classique, Grigris prend doucement son envol pour nous conduire sur la piste de la fable naturaliste. Illustration d'un parcours extraordinaire [au sens premier], rêve d'évasion matérialisé, désir utopique de vie en phase avec la nature, Grigris ne s'abandonne jamais au misérabilisme exotique.

Très peu dialogué, faisant avant tout parler les corps, le film avance par phases successives. Les danses de Souleymane [Grigris] viennent souvent romprent le rythme, créer des ruptures abstraites, tandis que les ellipses redonnent régulièrement du souffle au récit, lequel ne verse jamais dans l'explication inutile et appuyée.

Haroun raconte son histoire avec une rigueur impressionnante. Il tient là son rôle, celui du conteur : il nous emmène dans un monde en léger décalage, un monde qui ressemble au nôtre, mais qui n'est pas tout à fait le nôtre.

On ne pourra pas lister les nombreuses belles scènes du film : les danses bien sûr [l'entraînement, ou la dernière, sur un toit, on ne sait où...], la séance photo, les fleurs jetées sur les lavandières, l'accueil au village, la révolte des femmes... La beauté plastique jamais factice de Grigris, la ferveur que l'on partage, la douceur que l'on ressent, l'empathie constante avec des personnages déclassés, l'espoir enfin, tout concourt à la puissance tranquille d'un film singulier.

On regrettera le manque de justesse des deux comédiens principaux, Souleymane Démé et Anaïs Monory. Mais comme ils parlent peu, et que leurs corps s'expriment à merveille, on oublie vite leurs maladresses.

Grigris et un beau film, un film qu'il faut voir, un beau moment de cinéma.
pierreAfeu
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le 11 juil. 2013

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pierreAfeu

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