Gueules noires
5.5
Gueules noires

Film de Mathieu Turi (2023)

Quand le cinéma d'horreur français épate !

Honneur à toi mineur, Toi qui luttes sans peur ! Toi qui luttes sans peur ! Honneur à ton métier, honneur à ta vaillance, Sois fier de tes combats qui font vivre la France ! Ils creusent des sillons au ventre de la terre, Extirpant, des bas-fonds, l’or noir de la misère, En guise d’éclairage à leurs fronts barbouillés, Un lanterneau propage un rayon fatigué.

« Les gueules noires », une expression qui traîne toute une mythologie



"Gueules noires" s'affirme comme une odyssée horrifique dans les ténèbres, une véritable pépite inespérée au sein du paysage cinématographique de l'horreur français. Une détonation inattendue qui nous assène une claque magistrale ! Œuvre écrite et mise en scène par Mathieu Turi, elle nous plonge littéralement en enfer, s'immergeant dans l'esthétique et l'atmosphère emblématiques des films d'horreur des années 80. Une conception cinématographique façon "vieille école", à laquelle je suis particulièrement réceptif. Nous nous retrouvons en 1956, plongés au cœur d'une mine du nord de la France, aux côtés d'une équipe de mineurs. Dès le départ, attardons nous sur ce premier éclair de génie. En effet, au-delà du schéma horrifique, la mise en lumière des conditions de travail des mineurs de l'époque se présente comme un véritable périple d'épouvante à part entière. Effectivement, on perçoit un reflet de la réalité des mineurs, à travers leur langage marqué, jusqu'à leurs mains, leurs yeux, leur dos, leurs pieds et leurs poumons, tous usées dans les profondeurs de la mine. Des conditions extrêmes dans un environnement hostile qui révèlent de véritables héros du quotidien s'enfonçant courageusement dans les entrailles de la terre pour une poignée de francs. Comme l'exprime avec justesse Roland, le chef d'équipe des mineurs : « On nous appelle les gueules noires car lorsqu'on est en dessous, on se moque tous de la couleur de notre peau car l'on devient tous noirs sous la sueur et la crasse. »


Un premier point d'une efficacité redoutable, pouvant à lui seul constituer un film entier. Revenons à l'intrigue : les mineurs se voient confier la mission d'escorter un scientifique vers une zone encore inexplorée, où il souhaite étudier d'anciennes reliques enfouies dans les profondeurs. À la suite d'un éboulement, un piège mortel se referme sur eux, anéantissant toute issue possible. C'est le début d'une lutte éprouvante pour la survie, dans un environnement qui devient de plus en plus hostile et impitoyable. Une nouvelle étape sous haute tension pour le spectateur, qui se retrouve capté par l'angoisse aux côtés de nos courageux mineurs qui tentent désespérément de trouver une échappatoire. Une course effrénée contre le temps particulièrement haletante. Mais, leur calvaire est loin d'être terminé. Dans l'obscurité suffocante, ils font la macabre découverte d'un monstre d'une sauvagerie inimaginable. Cette rencontre les plonge encore plus profondément dans un véritable cauchemar, ajoutant une couche supplémentaire de terreur à une situation déjà critique.


S'appuyant sur un scénario à la fois simple et pourtant profondément riche, l'histoire prend son envol en se nourrissant habilement des influences cinématographiques. Elle s'immerge dans l'univers psychédélique et violent lovecraftien, capturant l'atmosphère insidieuse caractéristique de John Carpenter, explorant une évolution psychotique à la manière de Stephen King, le tout agrémenté d'une pointe de claustrophobie à la "The Descent" de Neil Marshall. Cet assemblage de références, bien loin de se contenter d'une simple imitation, réussit à transcender ses sources d'inspiration pour affirmer une identité cinématographique singulière. Un mélange d'univers qui se révèle fascinant, créant un contraste angoissant où chaque coin obscur de la mine résonne d'échos d'horreur. S'ajoutant à cette tension palpable, un contraste gore sans concession se déploie avec brio. Que ce soit grâce aux nombreux plans astucieux de Mathieu Turi, aux décors monumentaux de Marc Thiébault, s'inspirant en partie de l'église monolithe à Aubeterre-sur-Dronne en Charente, aux costumes hyper réalistes d'Agnès Noden, jusqu'à la photographie obsédante d'Alain Duplantier avec sa lumière édifiante, le tout habilement intégré dans une composition musicale stridente d'Olivier Derivière, l'originalité atteint des sommets ! Sans oublier les effets spéciaux qui sont authentiques, évoquant le latex et l'animatronique pour ce qui touche à la conception du monstre qui est véritablement flippant, contribuant à une expérience visuelle saisissante.


Dénudés à mi-corps, ruisselant de sueur, Dans un lent corps à corps, apprivoisent la peur. Car la Mort qui les toise au détour d’un goulet, Quand le grisou pavoise hochant sont couperet. Tel un vil mécréant sans cœur, ni état d’âme, Les laisse agonisants dans une étreinte infâme ! Dans la poi qui les mine, le long de leur vie, C’est au fond de la mine qu’ils gagnent leur vie,



Un véritable festin de créativité nous offrant de nombreuses séquences cultes et que je n'avais pas expérimenté depuis bien longtemps, tant cela déconcerte, déroute et dérange de manière inédite. À cela s'ajoute un rythme haletant, dénué de toute scène superflue, tout en préservant le développement dramatique des personnages. Le suspense reste constant, et l'action se révèle particulièrement immersive. Pas une seconde d'ennui, la tension ne retombe jamais. On partage littéralement le fardeau de nos protagonistes, plongés dans un combat désespéré contre l'impensable, confrontés à des dilemmes et à des terreurs inimaginables. Les exécutions sont percutantes et nous captent sans relâcher notre attention, maintenant continuellement notre intérêt. À chaque retournement de situation, nous sommes fascinés, souvent confrontés à une pièce d'horreur composée de tripailles et d'autres sévices. Le face-à-face final entre le monstre assis sur son trône et le héros ressemble à une grande toile d'un peintre nihiliste de renom. Un véritable délire ! La conclusion finale est à la hauteur du chemin infernal parcouru, nous laissant abasourdis par le spectacle auquel nous venons d'assister. Implacable ! L'équilibre habile entre le frisson et l'esthétique fait de "Gueules noires" une expérience cinématographique mémorable, où la richesse du scénario se marie à une exécution visuelle et narrative exceptionnelle.


Samuel Le Bihan, incarnant Roland, est tout simplement remarquable. J'apprécie énormément cet acteur qui, au fil de sa carrière, s'est véritablement distingué par sa versatilité à travers une multitude de rôles, explorant divers genres. Dans ce rôle, il continue de faire des étincelles. Le comédien nous captive par sa présence charismatique, son timbre de voix distinctif, et il est porté par des dialogues convaincants. Il partage l'affiche principale avec Amir El Kacem. Je fais la découverte du talent d'Amir El Kacem dans le rôle d'Amir, et je dois reconnaître qu'il excelle. Son personnage est intelligemment développé, évitant de sombrer dans une simple victimisation. Il est capable d'erreurs et de bonté, évoluant dans un univers particulièrement hostile. Sa dynamique avec Le Bihan fonctionne à merveille. Philippe Torreton, dans le rôle de Fouassier, le directeur de la mine, m'a agréablement surpris en parvenant à éviter la caricature du patron sans scrupules exploitant avidement ses salariés. J'ai une petite admiration pour Jean-Hugues Anglade, mais je dois avouer que je ne m'attendais pas à le voir dans le rôle de Berthier, le chercheur intelligent mais peu enclin aux tâches physiques. Même si la logique de réflexion derrière le personnage me semble quelque peu facile, l'ensemble de l'aspect mystique entourant le monstre, qu'il présente à travers des inscriptions, se révèle suffisamment efficace pour conférer une crédibilité à l'ensemble.


Le reste de la distribution s'en sort habilement, offrant un lot de survivants auxquels on s'attache avec Diego Martín pour Miguel, Marc Riso pour Polo, ou encore Bruno Sanches pour Santini. Thomas Solivérès, dans le rôle de Louis, a par moments suscité mon agacement, en raison de l'insistance sur son aspect raciste, frôlant parfois le stéréotype simpliste. Le seul élément que je trouve problématique dans cette œuvre réside précisément dans le fait qu'il semble aujourd'hui difficile de réaliser un film où, lorsqu'un étranger est confronté à des hommes blancs, il est automatiquement inévitable d'avoir des séquences racistes. Dans la mesure où cela semble inconcevable de s'en affranchir complètement, il serait peut-être préférable de les présenter de manière plus subtile et moins insistante, surtout lorsque, comme ici, elles n'apportent rien de significatif et semblent gratuites. Cela se manifeste dès la scène d'ouverture, où la sélection des futurs mineurs par un individu ressemblant à une ordure raciste et détestable, considère tout ce qui n'est pas blanc comme une sombre médiocrité. Heureusement, cette problématique ne reflète pas l’ensemble de l’œuvre.


CONCLUSION :

"Gueules noires" de Mathieu Turi est une perle du cinéma d'horreur qui réussit à mélanger habilement différentes influences tout en préservant une identité cinématographique propre. L'horreur des années 80 revisitée à la française, empruntant une technicité imprégnée de la vieille école : un véritable régal ! Une épopée minière psychédélique et gore qui se déploie telle une vaste toile fascinante au sein de décors impressionnants, instaurant une atmosphère angoissante qui plonge le spectateur au cœur de l'horreur. Un périple obsédant qui oscille entre terreur et fascination, créant un tourbillon d'angoisse, de gore et d'action. Samuel Le Bihan au top !


La résurgence de l'épouvante à la française.

Arrachant le limon, comme de noirs viscères, Dégoulinant filon, le marc brun de la terre. Y puisant, sans arrêt, à grands coups de harpons, Le poussier, le boulet, la houille et le charbon ! Je leur dédie ces mots que je grave en la pierre, Ceux qui cachent leurs maux sous des lauriers sans gloire, Car ils mourront, un jour, pour un pain de misère, Sans jamais contempler que des horizons noirs !

Créée

le 18 nov. 2023

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