À quoi bon?
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le 28 juil. 2020
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Film culte au sein de la confrérie des amateurs de cinéma déviant, Guinea Pig a grandement participé à rendre le cinéma underground japonais des années 1980 reconnu, du moins reconnaissable. Si on loue encore aujourd’hui le génie pictural et thématique de Tetsuo de Shinya Tsukamoto qui est l’un des premiers films cyberpunk de l’histoire, la relative célébrité de Guinea Pig se limite à son unique idée de départ : l’extrémisme visuel. Comme moyen mais surtout comme but.
Au départ un manga particulièrement macabre qui se base sur le fétichisme de la torture et des viscères, Guinea Pig était logiquement réservé à un public de niche. Qu’importe puisque son auteur, Hino Hideshi, ne souhaite pas en rester là. Le boom du marché de la vidéo au Japon permets désormais de produire pour pas cher des films de plus en plus extrêmes (violents, trash ou pornographiques). La sortie sur grands écrans ainsi facultative, la vente par correspondance à la mode, il est désormais plus facile d’échapper aux griffes de la censure. En 1988 sort donc le moyen-métrage Devil Experiment, premier épisode d’une série qui en comptera six.
Longtemps inédit dans nos contrées, il faudra attendre 2006 pour qu’un coffret de six dvd puisse être édité en France. Achat non dénué d’intérêt pour l’amateur de putréfaction car les bonus comprendront un disque additionnel contenant des making-off, le manga original de la série et des interviews des responsables des effets spéciaux du film (une des « qualités » de Guinea Pig). Pour l’histoire, Martin Sheen est tombé sur une copie et a fait mobiliser le FBI en vain, croyant à un meurtre authentique.
Mais que reste t-il de ce brûlot tant cité ? Une brève note au début du métrage renseigne le spectateur sur ce qui l'attend : un documentaire sur la souffrance et la corrosion des sens. D’accord. Mais encore ?
Un enlèvement filmé n’importe comment au caméscope de nuit, une jeune femme enfermée subissant une avalanche de sévices aussi peu raffinés que cruels. Augmentant crescendo par paliers, la malheureuse est giflée, forcée à écouter une bande sonore stridente jusqu’à saignement des tympans. Eau bouillante, pincements à la tenaille, ongles arrachés jusqu’à l’œil crevé.
Mise en scène minimaliste, photographie sombre et granuleuse, aucun dialogue, l’essai est monté de telle façon à croire à un authentique snuff movie. En vain.
L’ambiance est sale. Un certain effort a été déployé sur les effets spéciaux et le réalisme de la torture. En vain.
On essaie régulièrement de faire passer Guinea Pig pour ce qu’il n’est pas.
Faire croire à un snuff movie ? Le non-jeu de l’actrice est suffisamment éloquent pour laisser cette impression au vestiaire dès la première séquence. La crédibilité est sensée s’anticiper à tous les niveaux.
Œuvre d’art ? Sale ne signifie pas répulsif ou fascinant. L’érotisme grotesque (eroguro) est un genre à part au Japon. La cruauté, la souillure et l’agonie ne sont ni vaines ni gratuites. Aussi abominables qu’elles puissent paraître, elles rentrent en résonance avec l’éphémère de la pureté et de la beauté. Le macabre absolu s’empare également de la chute des fleurs de cerisiers. Un grand nombre d’artistes ont réussi à s’emparer de ce thème. On songe à l’écrivain Ranpo Edogawa, les tableaux dantesques de Kizmecca. Guinea Pig en est très loin. Ni beauté ni sens. La jeune femme n'est ici pas représentée comme ces jeunes filles pourrissant face au péché du monde. Ni même représentée comme figure féminine. Le caractère « japonais » (what the fuck, trop glauques les jap) de l’œuvre pour mettre en avant une qualité inexistante n’a que trop duré.
Œuvre politique ? Les séquences statiques sont purement démonstratives. Sans dialogues, sans mise en scène réelle ni symbolique, on n’y apprends rien du rapport au corps, des secrets érotiques morbides nippons, ni même de la violence. Même une série Z comme All Night Long de Matsumura Katsuya avait le mérite de proposer des personnages et de les faire évoluer au sein d’une historiette glauque sur la solitude et la violence. Il aurait pu être réalisé aux États-Unis, au Guatemala ou en Angola, ce serait la même chose.
Guinea Pig se rapproche avant l’heure des torture-porn à la Saw, A Serbian Film, Hostel ou Grotesque. Tout dans la forme mais sans forme, à fond dans le rien dans le fond. Montrer jusqu’à l’exagération les détails pour ne finalement ne rien montrer. Le glauque, ça sait se filmer (L’Échelle de Jacob), les viscères aussi (la tétralogie poético-gore de Lucio Fulci).
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le 28 déc. 2020
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