Je viens de voir la vidéo de quelqu'un sur Youtube, que je ne citerai pas, qui parle du film en des termes peu élogieux, et des gens dans les commentaires qui se tataient à aller voir le film et qui n'iront donc pas, parce que c'est très sensé et connu, il vaut mieux se fier à l'avis des gens plutôt qu'à son propre avis. Il y a aussi des gens qui ne comprennent pas comment on peut aller voir un tel film. Ca, ça dépasse tellement l'entendement et le cadre du cinéma que l'on ne va pas s'épancher sur le sujet. Ce n'est pas intéressant. Ce qui l'est beaucoup plus, en revanche, c'est le travail d'un critique, et d'autant plus lorsqu'il assène ses arguments comme une vérité générale sans jamais se soucier de ce que l'on appelle le "recul". 2001, l'odyssée de l'espace est un film qui peut laisser de marbre, qui peut paraître ennuyeux. Le cinéma de Lynch aussi. Je suis habitué à ces remarques, j'aime Mulholland Drive plus que ma propre vie. Il est d'une évidence limpide que l'on peut détester ce film, pour de multiples raisons qui incombent avant tout à la sensibilité de l'autre. Or, il est formellement, techniquement et humainement impossible de dire que Mulholland Drive ne raconte rien. Qu'il nest pas riche ou qu'il est incompréhensible. Ce sont les limites d'un travail de critique. Mêler son objectivité de cinéphile et sa subjectivité en tant que personne. C'est aussi pourquoi certains critiques sont autant méprisés. S'afficher avec une pancarte "ça n'engage que moi" n'est ni nécessaire, ni pertinent. Une critique n'engage pas que soi. Une critique engage un esprit ouvert, donc tolérant, donc critique.
Guy n'est pas juste un film qui parle du temps qui passe, d'un vieux chanteur qui regarde dans le rétroviseur, d'un biopic caché sur Claude François ou un métrage pour les vieilles personnes. C'est tout le contraire. Alex Lutz parle de la jeunesse. Alex Lutz ne parle finalement que très peu du temps qui passe, il s'obstine à montrer au spectateur qu'il faut vivre l'instant, qu'il faut aimer, s'abandonner, se perdre, se retrouver, s'étreindre ; il faut vivre. Guy n'a de cesse de faire vivre son personnage à travers ses souvenirs, cette nostalgie douce-amère qui ne faiblit que lorsqu'il pense à lui et au présent qu'il aime. Ce film parle du présent. Guy n'est jamais aussi épanoui que lorsqu'il fume ses cigarettes, que lorsqu'i a une douce pensée pour sa compagne, que lorsque son "fils" s'intéresse à lui, que lorsqu'il noue une nouvelle complicité avec ce dernier, que lorsqu'il monte à cheval. Le long-métrage nous dit, à chaque seconde, qu'il a perdu trop de temps à prétendre, à paraître, à faire quelque chose qui ne le représentait peut-être pas, avec des coupes de cheveux affriolantes et des chansons niaises, et que seul le présent sous son nez, lorsqu'il est seul ou en accord avec lui-même, compte. Guy raconte tellement de belles choses, et se cantonner à une vision formelle, se complaire dans une seule et unique lecture de ce film est terriblement dommage car c'est passer à côté, finalement, du sens premier du propos. Si il y a bien un public visé par Guy, c'est la jeunesse. Et ce chanteur, rangé avec d'autres, petit chanteur face à des si grands musiciens, chanteur populaire ou chanteur has-been, que reste-t-il ? Une vie où finalement, ce personnage est l'inverse de ce qu'il semble être, ce personnage qui s'épanouit dans la quiétude, la solitude et l'amour de l'autre, le vrai.
Le travail sur le maquillage est superbe, et la prestation d'Alex Lutz est tout bonnement extraordinaire. Certes, ce rôle à César est parfaitement rempli lorsqu'il chante, parle ou singe le côté aigri de nos chers grands-parents ou des stars en fin de carrière, mais il est surtout extraordinaire dans ses mimiques et ses gesticulations. C'est lorsqu'il ne parle pas qu'Alex Lutz atteint des sommets d'acting. Il porte sur ses épaules tout le poids d'une vie vécue, alors que ce n'est pas la sienne. Un formidable travail d'acteur, mis en lumière dans des moments de grâce extraordinaires, surtout vers la deuxième partie du film, lorsqu'il fixe la caméra alors qu'il discute avec des fans ou qu'il chante. Son fils sait. Le spectateur sait. Lui sait. Il est en représentation. Ce n'est pas le simple fait de paraître, ces regards ajoutent une dimension pathétique au personnage. Comme s'il savait presque qu'il faisait pitié, et qu'il se mentait à lui-même. Le jeu des acteurs est parfois inégal, mais souvent excellent, même si le point noir du film reste son fils, journaliste improvisé, qui manque de charisme, d'intérêt et surtout d'une connexion réelle avec son père. Cette révélation ou non-révélation que vous retrouverez à la fin peut être d'un grand intérêt, et une bonne manière de clôre ce propos. Il est problématique cependant de voir que cette relation ne fonctionne que dans un sens, ce qui est dû, pour moi, à une erreur de scénario plutôt qu'à un parti pris - quoique les deux puissent être liés.
Malgré quelques scènes artificielles voire carrément ratées (Europe 1, Drucker en partie, le "papa..." du fils), Guy est, avant d'être une grande performance d'acteur, un pied-de-nez génial à l'exercice beaucoup trop consensuel du biopic. Malgré un sentiment d'inachevé palpable, Guy est virevoltant d'émotion et de mélancolie. Un portrait viscéral et saisissant de notre époque raconté par une autre époque. Un arrêt sur images poignant, drôle et intelligent. Alex Lutz et ses faux airs de Belmondo nous offre un film d'une justesse de ton exceptionelle.