Voilà un film qui ne se laisse pas aborder facilement, du fait principalement de sa forme atypique. Le sujet du tournage d’un film n’est pas en soi original, mais Nobuhiro Suwa le transforme ici en une matière plus complexe, par la référence constante et précise à l’œuvre d’Alain Resnais, Hiroshima mon amour. Cette dernière s’accapare en quelque sorte une partie de « l’impondérable » lié à la tragédie d’Hiroshima, sujet qui a fasciné tant d’artistes et de penseurs durant toute la seconde moitié du XXe siècle et au tournant du XXIe.
Ce dédoublement constitue le squelette sur lequel vient se tisser l’aspect dramatique de l’œuvre de Suwa, à savoir la difficile voire impossible reconstitution, à la lettre près, de la poétique durassienne mise en images par Resnais. Béatrice Dalle joue le rôle d’une actrice en proie au doute à mesure que le réalisateur japonais déroule son projet de remake. Un doute qui vient subtilement renforcer le poids des dialogues jadis récités par Emmanuelle Riva, désuètes ritournelles vidées de tout sens.
L’apparente inutilité de cette tâche permet en réalité ce « recentrage » du personnage sur lui-même, motif récurrent du cinéma de Suwa, et favorise ainsi la réapparition d’une individualité sinon absente, du moins niée et refoulée pour des raisons demeurant obscures. La première heure se révèle à ce titre la plus stimulante, nous donnant à observer la lente mais certaine décadence psychologique de Dalle, comme atteinte par une curieuse asthénie mêlée de dégoût à l’égard d’un projet dont elle ne saisit pas l’intérêt. Un côté que renforce la barrière de la langue, thème lui aussi privilégié par le cinéaste dans chacun de ses films, ici fort à propos dans le cadre des relations franco-japonaises.
L’entreprise aurait pu rapidement virer au cabotinage, le resserrement de la focale sur les personnages étant si étroit qu’il en serait devenu épuisant, un peu comme dans Copie conforme de Kiarostami, avec lequel H Story partage de nombreux points communs. Heureusement il se dégage de ce gruyère cinématographique une étonnante cohérence, imputable sans doute à la patience et à l’humilité de Suwa face à l’absurdité de l’événement. Cette attitude à l’égard du matériau, Kiju Yoshida en fixera quelques mois plus tard l’idée, de manière à mon sens admirable : « Un film peut bien en parler : n'en subsistera jamais qu'une énigme, impossible à cerner complètement, car la bombe ouvre une discussion sans fin » (extrait du bonus de Femmes en miroir, 2002).
Peut-être que la deuxième heure, et plus particulièrement les vingt dernières minutes, s’abaissent trop à repartir dans le sens inverse de l’entreprise initiale ; à trop vouloir s’éloigner de la tragédie, à vouloir l’individualiser, il y a nécessairement perte de son caractère absolu, pur et intransigeant. H Story n’en demeure pas moins une intéressante réflexion sur la bombe, auteurisante mais se sauvant en contrepartie par la vision autistique que donne Suwa de sa propre entreprise cinématographique. Vision éminemment personnelle, en perpétuel questionnement, que vient préciser (ou du moins expliciter) son court-métrage A Letter from Hiroshima, réalisé l’année suivante (2002) et qui porte un regard plus intimiste sur les origines du projet.
Une mise en abîme loin d’être superficielle, et qui réserve son lot de surprises délectables, comme lorsque le son ne se lance pas de suite, que la pellicule s’altère subitement, ou que la prise-son est défaillante : le travail sera forcément incomplet, et surtout imparfait. Son sens, a fortiori, en apparaîtra limité. Mais n’est-ce pas là ce qui est destiné à frapper toute œuvre sur le sujet ? Dès lors, la relation entre l’idée et la forme paraît tout à fait évidente.