C’est sous les ors somptueux et démesurés du Vatican que débute, au fil d’une procession solennelle, le récit d’un enfermement. A l’abri du regard du monde, mais non de celui de Moretti, le conclave désigne un homme qui se voit lentement conduit vers le balcon : la petitesse de l’individu face au gigantisme des lieux, l’effroi d’un visage (Piccoli, sensationnel) et la béance d’un balcon qui donne sur une foule immense : l’angoisse s’accroit pour laisser place à la béance de ce rideau pourpre qui ne donne sur rien. On recule dans les appartements, et le silence se fait.
Cette première scène, au sens proprement théâtral, la première d’une pièce qui débouche sur le silence et l’absence, surprend et initie un double mouvement : l’insolite comédie et l’introspection modeste.
La comédie, c’est celle de Moretti : ravi de s’inviter dans les hautes instances du Vatican et d’en dérégler le protocole, il s’invente un personnage à sa mesure, double assumé du cinéaste, ici en psychanalyste lui aussi enfermé et occasionnant une bouffonnade très allennienne où psychanalyse et catholicisme font bon ménage.
A cette première strate s’ajoute celle d’une autre comédie, du jeu et de la supercherie : en bas, on joue au volley, tandis que dans les appartements, un fantoche agite les rideaux et promène sa silhouette pour combler l’absence du pontife.
Celui-ci, échappé dans la ville, goute les saveurs de l’homme libre et désengagé. Nulle volonté d’attaquer la foi chez Moretti : c’est bien la question du pouvoir qui se pose, et cette distinction évite bien des lourdeurs dans la démonstration. A la lumière splendidement photographiée des intérieurs du Vatican, dans une atmosphère proche de Vermeer, s’oppose la crudité d’un soleil romain sous lequel tout semble possible. L’extérieur, c’est la foule, la famille, la comédie, enfin, juste retour des choses. Lorsqu’on sonne la fin de la récréation, c’est dans le théâtre qu’on vient redonner au pontife sa souveraineté, dans une répétition générale de la cérémonie à venir : la loge comme balcon, les spectateurs en guise de place Saint Pierre.
L’homme qui n’a cessé de dire qu’il n’était pas un acteur se trouve donc contraint de devoir endosser un rôle, dont il écrira finalement une tirade définitive et abrupte, profondément sincère et en accord avec sa foi.
Film touchant parce que sans grande prétention idéologique, d’une grande tendresse dans son respect des individus, humaniste dans son désir de faire naitre des sourire sur les visages les plus austères, Habemus Papam réconcilie, un temps, les hommes et les hommes d’église, par la grâce de Moretti le père, ici en grande forme parce que sachant s’effacer face à son sujet.