Optical Malady
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le 29 mai 2015
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Ricaner, c'est facile. Détendre l'atmosphère avec une vanne passe-partout, ne pas se prendre au sérieux par peur d'être jugé trop sérieusement, tout le monde peut le faire. Michael Mann lui, s’y refuse encore.
Peu de scènes d’action, une musique sans thème majeur, un rythme contenu, des parenthèses contemplatives et une tension sans réel crescendo. En soi, Hacker fait suite au travail de Mann sur Miami Vice. Formaliste de génie, l'homme envisage le cinéma comme une vaste expérience impressionniste. La posture était latente dans son chef-d’œuvre Heat et n'a cessé de se radicaliser depuis le début des années 2000. La nuit, matière première de son travail dès Le Solitaire en 1981, est devenue une obsession, un spectre qui hante et motive ses tentatives formelles.
Si Ali lui aura permis quelques expérimentations fascinantes (dont une ouverture à l'image débordante de grain ; ou de bruit, pour employer le vocabulaire adéquat), c'est Collateral qui assuma pleinement l'envie du réalisateur d'abandonner la pellicule afin de capturer les ambiances nocturnes. Le dispositif très lourd de la caméra Viper, optimisé au fil du tournage par le travail commun de ses concepteurs et des deux chefs opérateurs à l’œuvre, témoigne de cette volonté d'avancer. Miami Vice, antithèse tonale de la série éponyme des 80's, n'y échappait pas.
De fait, il en va de Hacker comme il en va de Miami Vice : loin d'être intégralement nocturnes, leur premier degré appuyé rend plus visibles leurs quelques défauts. En premier lieu, un gilet pare-balles de fortune dont l'efficacité peine à convaincre. Ensuite, une love story au point de départ encore plus ténu que celui ouvrant la romance entre Colin Farell et Gong Li. Maître de son approche, Mann sait néanmoins ce qu'il veut à l'image. Perfectionniste, il laisse justement une place aux beautés de l'imperfection, tel l'objectif éclaboussé de sang lors du climax de Miami Vice.
C'est cet entre-deux, cette superbe brèche qui fait la valeur de Hacker. Résumer ses qualités et les frissons qu'il provoque est un vrai défi. Est-ce l'histoire ? Les personnages ? Leur background ? Les scènes spectaculaires ? Tout cela et rien de tout cela, car ils gagnent leur impact grâce à l’œil du cinéaste. À chaque scène, il impose sa griffe et son sens du cadre, où statisme et célérité se cherchent constamment. Bien que réitérant son plan signature (le héros qui lance un regard perdu vers l'horizon), Mann fait de son dernier travail une pure expérience de mise en scène.
On peut être tenté de ranger cette fiction technologique dans la case du thriller post-11/09, conséquence d'un personnage secondaire au passif douloureux, mais le contexte de Hacker prime nettement moins que ses répercussions directes, non soumises à une lecture politique. Pour preuve, Mann réservera à ce même personnage un plan nocturne parmi les plus poignants de sa carrière, le cinéaste y donnant un sentiment de proximité qu'aucun flash-back intempestif ni dialogue superflu ne viendra remettre en cause.
Caricaturer Hacker, rien de plus simple tant il s'y prête sur le papier : beau gosse ex-taulard, fusillades, vilains pirates informatiques et intrigue globe-trotter, sauf qu'il contredit sa propre formule. C'est un "dessein esthétique", un geste, la nouvelle pierre d'un édifice étrange que Michael Mann érige à Hollywood. Cet homme-là n'est jamais devenu cynique et ne crache pas sur le divertissement : il le prend à bras le corps pour le magnifier. Il ne plaisante pas et c'est normal, il croit à mort à ce qu'il fait, à la pertinence d'une composition formelle, d'une texture brute.
Ne cherchez pas l'âme de Hacker dans son intrigue : elle est ailleurs, bercée d'aspirations picturales envoûtantes, baignée d'images glaciales. Comme ce plan au ras du sol où, en pleine fusillade, une poignée de formes angulaires dessine une composition symétrique grâce à la flaque d'eau au bas du cadre. L'espace d'un instant, on se croirait presque devant une ébauche a minima de l'architecte Louis Kahn, en particulier son bâtiment pour l'Assemblée Nationale à Dacca.
La matière, son poids et sa stature, les instants suspendus... Voilà ce qui fait courir Michael Mann et insuffle à tout Hacker une tonalité plastique qui contamine et transcende le long-métrage.
On le sait depuis longtemps : Mann, c'est un taulier, du genre à mettre son cœur sur la table. Avec un pitch comme celui de Hacker, aligner blagues et money shots était une option sécurisante. De même, à la vue de ce drôle d'objet, ricaner est chose facile. Très peu pour moi : à moins de condamner la froideur de ce nouveau délit d'expérimentation au sortir de la séance, difficile de ne pas porter un peu plus dans son cœur cet immense metteur en scène qu'est Michael Mann.
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Créée
le 20 mars 2015
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