La lenteur, c'est relatif dirons-nous, ça ne veut rien dire foncièrement, ça ne rime à rien, ça n'a pas de sens concret en tant que telle.

Encore plus quand on daigne parler de cinéma.

On pourrait filmer une personne marcher pendant plusieurs minutes dans un couloir interminable et peu étroit. Sans dialogue, ni bruit particulier, si ce n'est celui d'un pas.

Là, oui, en plus d'être lent, ça ne procurerait pas de folles sensations sensorielles.

A moins d'y dissimuler un quelconque message substantiel...
A moins de montrer la personne de côté, et non de dos, ce qui installerait un doute ; "mais vers où marche-t-elle ? Que voit-elle ? Et pourquoi ce silence ?"

Et j'en viens alors à Hana-Bi, peut-on parler d'un rythme banal ? D'une lenteur inutile et rébarbative ? D'une technique sournoise afin de tirer un plan en longueur ?

Non.

Quand vous regardez un western, n'importe lequel du moment que vous l'aimez bien, ce n'est pas tant ce qu'on vous dit ou montre qui vous transcende. Mais "comment" cela se fait, comment cela est imagé de par une ambiance et une teinte musicale.

Personnellement, je n'irai pas dire fièrement qu'un film m'aura fait chier, qu'il m'aura emmerder. Oui, peut-être que ce sera la véritable nature de ce que j'ai ressenti. Mais il y a des mots tellement plus fins, des tournures plus pertinentes telles que "cette oeuvre ne m'a pas atteinte" ; et ce n'est pas parce qu'elle ne m'aura pas parlé que ça devra en incomber au réalisateur ou aux acteurs. Cette tendance à remettre en question tout un processus de mise en scène, parce que "moi" je n'ai pas aimé, et si "moi" je n'ai pas aimé, c'est qu'il y a un gros problème. Non, certainement pas.

Il est évident que Kitano joue un personnage peu évident, donnant presque l'impression d'être impromptu. Il ne dévoile pas énormément de choses, seules ses mimiques permettent de le cerner à quelques occasions. Je repense par exemple à la scène au bar vers le début du film, quand Nakamura essaye timidement de "réconforter" Nishi, en lui parlant des imprévus de la vie et de la perte d'êtres chers ; et ce dialogue me permet de rebondir sur ce que je disais avec le terme "impromptu", rarement un cinéaste aura démontré une force aussi instinctive que pertinente.

Pas de traveling qui fait mal au crâne, pas de fusillades dans tous les sens... Kitano construit son récit en l'entremêlant de moments passés et présents, tout en faisant allusion à un futur indécis. Il intériorise beaucoup, et il laisse la beauté de chaque instant s'extérioriser. Il la laisse voguer contre vents et marées, sans précipitation. Il ne caresse par le spectateur dans le sens du poil, il s'en fout de le froisser ou de le désintéresser. L'art de raconter des petites choses simples et éphémères. C'est ce qui fait que ce genre de came ne plaira pas à tout le monde, car "tout le monde" s'est habitué à la superficialité apparente, aux effets qui pètent, à l'action déchaînée... Hana-Bi n'est pas un divertissement impersonnel, ce n'est pas des morts terriblement faciles mais lourdes de propos. C'est un feu d'artifice qui ne dure qu'un court instant, un voyage évasif pour Nishi et sa femme... et des liens d'amour éternels.

Je ne sais pas... Il suffit de repenser à l'élaboration du braquage. Le moins mouvementé et spectaculaire de tous les braquages vus au cinéma. Il résume Hana-Bi... ses dérives picturales, sa tendresse marquée et sa violence en marge de tout.
Eren
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le 13 janv. 2014

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Eren

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