Happy End
7.6
Happy End

Film de Oldřich Lipský (1967)

C'est sans doute la première fois que la Nouvelle Vague tchécoslovaque, retranchée dans son loufoque surréaliste et noir particulièrement excessif, me convainc aussi aisément et frontalement. Happy End impose son concept sans aucune forme d'introduction : on est en contrebas d'une guillotine, une exécution vient de se produire, la tête a été coupée, une voix off nous le raconte de manière décalée, sauf qu'un détail cloche. Le fil narratif est déroulé à l'envers, façon Nolan (Memento et Tenet), Fincher (L'Étrange Histoire de Benjamin Button) et Noé (Irréversible), mais dans une version jusqu'au-boutiste inventée dans les années 60 : l'intégralité de la pellicule défile en sens inverse. Puisqu'on commence par une mise à mort, on se doute que revenir dans le passé nous éclairera sur le sort de cet homme décapité, mais il en sera en réalité tout autrement.


Car la voix off et les dialogues ajoutés en post-synchronisation (la bande audio n'est pas inversée, elle) racontent une histoire radicalement différente de ce que racontent les images, et c'est la matrice du film, le carburant de la comédie (très noire), le concept qui sous-tend l'intégralité. Mais il faudra un certain temps d'adaptation pour percer à travers la malice de cette voix qui se plaît à nous raconter une version éminemment subjective de la réalité, ou plutôt de la nouvelle réalité qui se déplie en sens inverse sous nos yeux et dans laquelle la mort est présentée comme une nouvelle naissance.


Oldřich Lipský tient très fermement son concept du début à la fin, et une fois la machine lancée rien ne l'arrêtera pendant plus de 1h10 (une durée assez courte en soi, mais qui se ressent différemment dans ces conditions particulières). Ce sera donc au choix un délire entraînant ou un calvaire pénible selon le degré d'implication, il n'y aura aucun renouvellement en cours de route — de quoi essouffler même les plus endurants. Le génie du film tient en tous cas à sa narration, puisqu'elle demande une attention de tous les instants : c'est comme si deux films étaient diffusés en même temps, celui mis en scène par les images (que le spectateur doit remettre dans l'ordre) et celui raconté par la bande sonore (étant donné qu'elle manie un burlesque tranchant en jouant sur le fait que les répliques arrivent en sens inverse tout en donnant naissance à un nouveau récit). Ainsi, l'exécution se transforme en naissance, la prison en enfance, le démembrement de sa femme en réassemblage du corps (macabre surréaliste très distingué), le meurtre de l'amant balancé par la fenêtre en une invasion chevaleresque, le mariage en cérémonie de désunion, le sauvetage d'une maison en flammes en condamnation au bûcher, etc.


La beauté de la chose tient à la capacité à maintenir un fil rouge parfaitement logique du début à la fin, et ce malgré les deux hémisphères du cerveau malmenés : on peut choisir de lutter et d'essayer de maintenir les deux niveaux de lecture simultanément, ou alors on peut cesser cette lutte pour se laisser emmener par le nouveau récit narré qui joue admirablement bien de la résonance entre les images et le son. C'est cohérent globalement, même si quelques pirouettes permettent de s'en sortir lorsqu'une impasse logique se dessine, notamment au travers du recours à la voix off. Au final, on a là une décapitation qui se termine bien, des stripteaseuses qui se rhabillent, des femmes qui retrouvent leur virginité par magie, et un motif du double sens usé avec autant de précision que d'opiniâtreté sans que la remise en ordre du récit ne devienne une nécessité ou une fin en soi.


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Morrinson
7
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le 3 juin 2024

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Morrinson

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