Happy Feet
5.8
Happy Feet

Long-métrage d'animation de George Miller, Warren Coleman et Judy Morris (2006)

Happy Feet ou le double négatif du Roi Lion

En 2006, la perspective d'attendre un nouveau Miller avait de quoi réjouir les adorateurs du cinéaste surtout après avoir foutu, huit ans auparavant, un bâton de dynamite dans la gueule de Babe 2 et d'en avoir certainement fait pour l'occasion le film pour gosses le plus gonflé qui soit. Pourtant le visionnage de la bande annonce de "Happy Feet" a très largement refroidi les ardeurs de chacun avec sa bande de manchots en plein swing se dandinant sur la banquise de l'Antarctique. Le grand George ravivait-il sa flamme créatrice au son du classique Disney ? Souhait-il en découdre sur le terrain de Pixar alors en plein Âge d'or ? Officiellement non. Officieusement non plus d'ailleurs et après une première lecture, la démarche artistique va se révéler beaucoup excitante qu'une énième peluche pour têtes blondes.


UN CULOT ROYAL


Il y a moins de six degrés de séparation entre la scène d'ouverture du successfull "Roi Lion" des studios Disney et le premier volet de "Happy Feet" appliquant méticuleusement la formule Miller. En son temps, le film de Rob Minkoff aura fait sourire nombre de critiques de gauche avec sa monarchie placée tout en haut de la chaîne alimentaire et ses antilopes sacrifiées pour justifier les lois de la nature. Le petit peuple offert aux têtes couronnées, il fallait le faire. On pense ce que l'on veut du "Roi Lion" et de son idéologie dite nauséabonde mais son discours lors du préambule place ses protagonistes en haut d'une falaise devant un parterre d'animaux prosternés. La force d'un point de vue culotté de la part des auteurs passé sous les radars de spectateurs littéralement hypnotisés par le show. Du rêve en barre pour les familles lors d'un efficace processus d'identification qui assisteront à la naissance de "L'Enfant Roi" sous une fracassante musique oscarisée. Disney est habile dans sa transposition du spectacle mainstream. Et "Le Roi Lion" place de manière stratosphérique la notion de famille puisqu'il est grandement question de ne pas sortir du territoire et de ne pas s'éloigner des siens sous peine d'en découvrir les aspects les plus sombres. Une manière d'appuyer encore un peu plus son discours de droite que certains qualifieront de franchement réac. C'est pourtant sur ces bases que le classique Disney a connu le triomphe et ce sont sur des bases en apparence identiques que "Happy feet" va défaire le mythe Disney en offrant une alternative à toutes ces convictions.


DÉCONSTRUCTION DU MYTHE: COSMOS ET SEXE


L'éclat d'un côté et l'humilité de l'autre. Le triomphe absolu pour l'un et le succès pour l'autre. Tant de points communs et autant de différences. Il n'est pas étonnant de voir les deux productions aborder la question de l'existence de l'être au sein de l'univers. Un sujet traité par Miller dès l'ouverture de son film à l'aide d'une vision subjective à travers le cosmos découvrant une planète où s'affiche les lettres "Happy feet". Deux infos essentielles seront données par le réalisateur de "Mad Max". La première, le titre du film en lettres magmatiques qui indiquera l'opposition entre le lieu géographique de l'action et le feu sacré des claquettes qui anime Mumble. La seconde, abordera la petitesse du manchot sur la planète bleue et son absence de répercussion divine. Une question qui taraudait beaucoup plus "Simba" lors d'un échange avec ses amis sur la mort des grands Rois et l'éventuelle réincarnation en étoile. Entre "le quidam manchot" et la destinée d'un lion Roi, les deux longs métrages affichent rapidement une contradiction sur l'essence même de la construction du mythe cinématographique. Une manière pour George Miller de contrecarrer les attentes du spectateur. Impression renforcée lorsque le film s'ouvre sur la future naissance de "Mumble" : Une parade nuptiale musicale à grand renfort de chansons explicites (Let's talk about sex Baby) unissant Norma Jean (Nicole Kidman) et Memphis (Hugh Jackman). Un prologue qui n'éludera en aucun cas la question de l'acte sexuel comme ce fut le cas pour "Le Roi Lion" dont l'ellipse, bien que magnifique, préférait se concentrer sur les beautés de la faune et de la flore de la savane. Une délicatesse que Miller écarte rapidement préférant rassembler ses efforts sur l'écriture des tares de la progéniture du couple manchots et l'absence de symbolisme auquel se rattache la race. En d'autres termes faire table rase d'un héritage qui a fait ses preuves.


DÉCONSTRUCTION DU MYTHE: LA MUSIQUE DIÉGÉTIQUE


"Happy Feet", c'est un peu comme si l'auteur de Babe avait voulu prendre à revers toute la réthorique de Oncle Walt. La race élue et majestueuse des félins laisse place à une colonie aux êtres semblables. Un talent toutefois, celui de communiquer par le truchement de la musique et d'en traduire les moeurs ou les états d'âme de l'espèce. Un choix du réalisateur de retravailler l'utilisation de la musique diégétique non plus comme une illustration mais plutôt comme un stimulus rassembleur. Une certaine idée de l'uniformisation du peuple manchot qui s'accompagne d'un traitement proche de celui des "Dix commandements" de Demille. Le score, ici, extra diégétique de James Horner se pare de Choeurs lorsque la colonie protégeant les futurs nouveaux nés traversent une tempête de neige avec à leur tête un leader bossu et maigre invoquant "L'esprit du grand manchot". Une figure forte porteuse d'un prosélytisme qui n'inspire qu'antipathie et qui ne fait que confirmer que sous la couche de glace du divertissement orchestré par les morceaux de musiques successifs se cachent la destinée d'un peuple oppressé et condamné par le mythe Sysiphien de s'alimenter et de procréer. "Happy Feet" révèle ainsi sa nature de spectacle son et lumière mais refuse la fonction du glamour au risque d'altérer le plaisir du spectateur. Conscient que son oeuvre puisse en rebuter plus d'un, Miller soigne la forme de son film et n'oublie pas de concéder au divertissement pur par le biais de quelques figures obligatoires empruntées à la mythologie Disney. Mais là encore, le souhait de s'émanciper du Kaiser de l'animation aboutira à une oeuvre certes moins lyrique et aussi moins identifiable sur bien des aspects. "Happy Feet" se réclamerait d'une entreprise plus cérébrale et moins offerte.


DÉCONSTRUCTION DU MYTHE: LES FIGURES MANICHÉENNES ET PROPHÉTIQUES


Puissant de par son récit de vengeance, de par son symbolisme royal animalier et de par ses multiples références aux légendes Africaines, "Le Roi Lion" emprunte aussi tout son lyrisme et sa tragédie au dramaturge William Shakespeare. Un mariage contre nature puisque ce dernier est issu d'une culture occidentale. Une bouture cinématographico-littéraire qui sied parfaitement au folklore Africain avec cette chute incontestable de sa figure royale et le bannissement en fin de calvaire. Un coup d'état fomenté par "Scar" double maléfique de "Mufasa" dont la perspective est de s'octroyer le trône de son frère. Les racines du mal au coeur de la famille, un ressort dramatique fort et sans ambivalence qui ne prendra jamais son spectateur à rebrousse-poil. Des enjeux clairs qui ne seront pas l'apanage de "Happy Feet" trop occupé à troquer l'héroïsme au profit de l'acte communautariste de la race manchot. Et comme son homologue, le film de Miller consacrera aussi une partie de sa thématique au bannissement pour finir en un récit initiatique riches en rebondissements. Ce qui différencie "Happy feet", c'est de ne jamais donner corps ou isoler la notion du mal mais de la nuancer sous des formes diverses comme la prédation durant le périple de Mumble ou encore le mode de vie autarcique des manchots et de ses leaders conservateurs étouffés par l'obscurantisme religieux. Un film politique, donc, qui ne cesse de tordre le matériau de l'animation pour l'emmener vers des contrées plus réflexives. Si l'oeuvre de Miller ne cesse d'apporter des alternatives au divertissement tel que l'on peut le connaitre, c'est aussi parce qu'il fait appel à la démystification de personnages inscrits dans l'inconscient collectif. "Rafiki" éminence grise, sorcier et adepte en sous texte des sciences occultes est celui par qui la balance morale penchera du côté positif. Un atout majeur et omniscient qui a sa raison d'être en préservant l'équilibre de la tribu. Arrivé à ce point crucial et à l'aide de ce personnage, "Le Roi Lion" relance l'intérêt de son histoire en réinjectant un soupçon de mythologie. Le sérieux papal du 43ème film d'animation des studios se vaporise lorsque George Miller ose composer un succédané de "Rafiki" en la personne de "Lovelace", faux prophète et vrai bouffon orné d'un collier en plastique. Un personnage faussement touché par la grâce qui ne saura à aucun moment livrer des réponses à Mumble. Ce reflet déformant du sorcier mandrill pourrait se révéler n'être qu'un simple pastiche. Le souhait sera tout autre puisque nourrit par l'imaginaire de son contemporain, Miller va détourner les codes et les règles afin de gommer la simple lecture et la transformer en petit théâtre des moeurs et cultures de notre société contemporaine.


Et c'est sur cette rampe de lancement que le mimétisme Disneyen se termine au profit d'une métaphore animalière qui va catapulter l'oeuvre bien au delà de sa fonction de désacralisation. Si en arrière plan, il est bien mentionné le problème de l'éco-système, il y est également question du besoin de s'ouvrir à autrui. Une nouvelle porte s'ouvre sur l'avenir de Mumble et de ses congénères.


Retrospective George Miller - Critique Happy Feet 2 https://www.senscritique.com/film/Happy_Feet_2/critique/68241498

Star-Lord09
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le 20 nov. 2019

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