Femmes actuelles
Jun, Sakurako, Akari et Fumi se retrouvent dans les hauts de Kobe pour un pique-nique entre amies. La vue, censée offrir un panorama sur la ville, est cependant cachée par le brouillard. L’une des...
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le 28 févr. 2017
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Jun, Sakurako, Akari et Fumi se retrouvent dans les hauts de Kobe pour un pique-nique entre amies. La vue, censée offrir un panorama sur la ville, est cependant cachée par le brouillard. L’une des quatre amies s’exprime alors : « C’est comme notre futur ».
Malgré un passage par le Festival des 3 Continents de Nantes en 2015 et deux récompenses, la même année, au Festival de Locarno – Léopard pour la meilleure interprétation féminine pour Sachie TANAKA, Hazuki KIKUCHI, Maiko MIHARA et Rira KAWAMURA et une Mention Spéciale pour son scénario –, ce n’est qu’au début de l’année 2017, lors de la 11e édition du Kinotayo, que le public parisien a pu découvrir Happy Hour, long-métrage fleuve de Ryūsuke HAMAGUCHI s’étalant sur plus de cinq heures et dressant le portrait de quatre femmes d’une trentaine d’année dans le Japon contemporain.
Révélé au Festival de Locarno l’an dernier, Ryūsuke HAMAGUCHI commence principalement par du cinéma de fiction avec Passion en 2008, The Depths en 2010, Intimacies en 2012 et Touching of the Skin of Eeriness en 2013. Après les événements de mars 2011, HAMAGUCHI se rend dans la région du Tohoku et s’essaye à la forme documentaire pour Tohoku Trilogy, un documentaire en trois épisodes où plusieurs personnes racontent ce qu’elles ont vécu lors du séisme et du tsunami. Lors du tournage Ryūsuke HAMAGUCHI et son coréalisateur Kou SAKAI découvrent avec stupéfaction lors des interviews que ceux que l’on nomme « victimes » font preuve d’une force d’expression importante. Les deux compères arrivent alors à la conclusion que le simple fait d’être écoutés et acceptés menait les gens vers une forme d’aisance et d’acceptation de soi qui permet l’expression des sentiments profonds. Happy Hour résulte d’une volonté, de la part du réalisateur, d’inclure la confiance de ces « voix » dans un système de narration fictionnel.
Recevant des soutiens à Kobe, Ryūsuke HAMAGUCHI et son producteur Satoshi TAKATA se rendent dans la ville et organisent un workshop entre septembre 2013 et février 2014 avec des personnes n’ayant aucune expérience dans le cinéma. Composés de 17 personnes, l’atelier s’éloigne d’une volonté de donner des cours pour apprendre le jeu d’acteur et devient un travail sur comment les individus peuvent s’écouter les uns les autres au travers d’exercices physiques ou de travail sur soi dirigés par le danseur-chorégraphe Osamu JAREO. Lors de ce workshop, un exercice consistait notamment aussi à simuler et improviser des entretiens entre participants. De ces improvisations naît le matériel de base pour Ryūsuke HAMAGUCHI et son producteur qui viendra nourrir le scénario de Happy Hour.
Le tournage de Happy Hour s’étale sur 8 mois et se fait dans l’ordre chronologique du film. Les participants du workshop jouent et redécouvrent leur propre rôle, et témoignent alors d’une réelle prise d’assurance qui viendra nourrir l’évolution des personnages. Ainsi c’est en toute logique que Sachie TANAKA, Hazuki KIKUCHI, Maiko MIHARA et Rira KAWAMURA ont été récompensées au Festival de Locarno pour l’interprétation de personnages issus directement de leur imaginaire et de leur personnalité.
Car à chaque génération ses problèmes, ses angoisses, ses manières d’appréhender et d’apprécier ou non la vie. D’abord il y a l’enfance et l’exploration d’un monde inconnu, comme en témoigne le cinéma Hirokazu KORE-EDA. Puis on grandit pour se confronter au monde et à l’adolescence avec poésie comme dans Still The Water de Naomi KAWASE ou avec espièglerie comme les jeunes Hana et Alice dans le cinéma de Shunji IWAI. Parfois l’adolescence est lieu de rébellion contre le monde et ses institutions à l’instar des 4 lycéennes de Our Huff And Puff Journey de Daigo MATSUI ou des différents étudiants qui ont caractérisé le cinéma vindicatif de Nagisa OSHIMA. Pour autant, la maigre distribution du cinéma japonais en France ne permet que très rarement, voire jamais, de découvrir et explorer le traitement cinématographique de la période qui suit ces années « folles » dîtes de jeunesse.
Entre désillusion des rêves de jeunesse et pessimisme mutique sur l’avenir, Ryūsuke HAMAGUCHI livre avec Happy Hour* un portrait peu reluisant sur la condition de la femme au Japon. Loin des « heures joyeuses » annoncées par le titre, Sakurako, Jun, Akari et Fumi mènent une vie où la répétitivité du quotidien est maîtresse. Que cela soit le quotidien domestique de Sakurako qui ne peut aspirer à autres choses qu’être femme au foyer ou celui de Akari qui ne trouve plus de plaisir dans son travail d’infirmière, les quatre femmes peinent à s’épanouir et ne trouvent du réconfort que lors des rares réunions entre amies qu’elles organisent occasionnellement ensemble.
Lors de ces réunions, qui constituent de véritables moments de fuite, les quatre amies semblent reprendre vie, loin d’un quotidien venu imposer un ensemble de règles de vie, qui a supprimé la simplicité des émotions. Pour elles, l’essence d’un couple ne relève plus des sentiments contrairement au couple dans lequel s’est engagé le fils de Sakurako. Le mariage et le divorce ne sont plus des problématiques liés à l’amour mais des questions économiques qui se mélangent, du moins au Japon, avec un système patriarcal encore trop présent. De même, la recherche de conjoint se base désormais uniquement sur des besoins comme celui de trouver un père pour son enfant.
Mais l’amour n’est pas la seule chose ayant perdu sa raison d’être. Les rêves de jeunesse eux aussi ont disparu pour laisser place à la vacuité et l’impossibilité d’agir dans un monde imparfait. À l’instar d’Akari, qui rêvait de soigner et d’aider les gens en tant qu’infirmière, mais qui se confronte désormais au vieillissement de la population japonais et voit que les soins ont été remplacés par la surveillance de personnes âgées en attente de la mort.
Cette trentaine d’années que symbolise Ryūsuke HAMAGUCHI au travers de Sakurako, Jun, Akari et Fumi montre aussi une absence d’avenir et de but qui viendraient pourtant aider ces jeunes femmes à avancer et s’affranchir de leur situation. Comme prisonnière de leur quotidien, leur vie est réglée à la minute près dans des agendas qu’elles brandissent à chaque proposition de sortie en quête d’un moment de temps libre. Dès lors, le simple fait de partir en boite de nuit sur un coup de tête constitue une forme de liberté jurant particulièrement dans leur mode de vie.
Ainsi, les seules possibilités d’émancipation pour ces jeunes femmes sont de retourner à une forme d’égoïsme en favorisant leurs propres envies, même si cela doit passer par l’effondrement de ce qui a été construit précédemment. La simple volonté d’être remarquée, comprise et aimée à nouveau empiète sur la stabilité de ce que l’on nomme le « cocon familial » et les mène à l’adultère et au divorce.
Cependant, Ryūsuke HAMAGUCHI ne traite pas uniquement des désillusions chez ces jeunes femmes mais aussi de la perte d’une certaine capacité à communiquer avec autrui. Incapables d’échanger avec leur maris, collègues et parfois entre elles, les personnages basent leurs relations sur des mensonges et des non-dits. Outre l’échange d’inepties liés à leur travail respectif ou leur quotidien, les couples ne partagent plus rien. Cette absence de communication apparaît aussi entre un père et un fils qui ne se comprennent pas ou un frère et une sœur qui sont dans le jugement permanent de l’autre.
Avec Happy Hour, Ryūsuke HAMAGUCHI met en exergue certains travers de la société japonaise. Au cours du long métrage, le spectateur prend conscience qu’une stratification des propos à tenir selon son interlocuteur existe et qu’elle mène régulièrement à des propos tels que « Qui es-tu pour me dire ça ? Je suis le mari, tu n’es qu’une simple amie. ». Dès lors, il devient aisé de s’insurger contre la dureté des échanges qui relèvent finalement plus du rapport de force que de la communication.
Pour autant, Happy Hour dépeint l’histoire de quatre femmes qui veulent apprendre à communiquer. Après un workshop basé sur l’apprentissage de l’échange avec autrui, notamment au travers de la confiance et de l’écoute, les quatre amies vont réussir à libérer leur parole. Cette libération s’effectue alors entre amies, inconnus ou simplement par d’autres manières de communiquer. Les secrets les plus profondément enfouis sont avoués, une soirée en boite de nuit à danser ou un simple contact entre deux individus lors d’une piqûre devient un échange bien plus qu’une riche qu’une discussion de vive voix. De même, de longues discussions sont dorénavant possibles, à l’instar de Jun et une inconnue venant de Mie devenant de proches confidentes lors d’un court trajet de bus.
Avec un film fleuve de 5 heures et 20 minutes, Happy Hour s’avère particulièrement représentatif de la société japonaise en prenant son temps pour embrasser efficacement le quotidien des femmes dans le Japon contemporain. En traitant quasiment intégralement la séance de workshop et la lecture d’une nouvelle, le spectateur participe lui aussi à ces événements et peut percevoir, voire ressentir, les évolutions qui se forment chez les quatre héroïnes.
En adoptant une forme brute et peu mise en scène, Ryūsuke HAMAGUCHI ne tient aucune propos incisif et laisse simplement parler les images d’elle-même. On retrouve la démarche du réalisateur dans l’attitude de la jeune femme ayant lu sa nouvelle lorsque celle-ci annonce avoir fait sa lecture pour transmettre un texte et non pas pour qu’on l’écoute parler. Ainsi, sans apposer un message, HAMAGUCHI décrit une société japonaise comme il la perçoit dans sa vie de tous les jours et non pas en affirmant que sa vision est objective.
Comme le soulignait Leos CARAX dans son film *Holy Motors « La beauté est dans l’œil de celui qui regarde ». Si le long métrage de Ryūsuke HAMAGUCHI n’entretient aucun rapport avec le réalisateur français, il vient néanmoins illustrer à la perfection cette notion de création de la part du spectateur. Tout comme les actrices ont pu comprendre et découvrir leur personnage à la lecture du script, le public apprend à découvrir ces quatre jeunes femmes ainsi que leur quotidien. Il n’est par ailleurs, jamais question de représenter l’essence de ces personnages. Si le public ne pourra jamais comprendre pleinement ce que vivent ces femmes, celui-ci peut cependant apprendre à s’attacher à elles et à les respecter comme s’il s’agissait d’amis de longue date.
Initialement intitulé « Brides », en réponse à Husbands de John CASSAVETES, le film est devenu « Happy Hour » puisque, selon Ryūsuke HAMAGUCHI, on ne peut traiter de l’aliénation des femmes dans la société japonaise sans traiter des hommes les entourant. Loin du lourd constat de quatre amies enfermées par leur quotidien, le patriarcat et leur perte de rêve, Happy Hour traite plutôt de l’apprentissage de ces jeunes femmes à communiquer et à se comprendre. Se basant comme une véritable expérience pour les personnages et pour les interprètes, le film invite le Japon contemporain à s’essayer à une communication franche et sincère.
Si la France a, elle aussi, beaucoup à apprendre de ce film en matière de communication, elle doit cependant se contenter des trois diffusions au Festival des 3 Continents de Nantes et des quatre au Kinotayo. Happy Hour vient rappeler la frivolité des distributeurs à acquérir les droits d’un film pouvant être classé parmi les plus audacieux de ces dernières années, si ce dernier est un long métrage fleuve ou s’il est originaire d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du Sud.
Critique publiée dans le webzine Journal du Japon
Créée
le 28 févr. 2017
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