Inconnu dans nos contrées, le réalisateur coréen Kim Seong-hun est un homme patient et perfectionniste qui prend le temps nécessaire pour écrire ses films. Avec Hard Day, il est à la tête de son second long-métrage. Pourtant, il ne s'agit que du premier à trouver le chemin de nos salles hexagonales. En 2006, après une comédie noire ayant reçu un accueil mitigé, il dira même :
J’ai été le seul à trouver le film drôle
il ne désespère pas et se lance dans l’écriture d’un nouveau scénario après avoir visionné Volver de Pedro Almodovar. C’est en s’interrogeant sur la manière dont un homme peut se débarrasser d’un cadavre que les sens du cinéaste se sont excités. Il revendique fièrement un film de genre décalé. Un long métrage qui serait à la croisée du cinéma des Frères Coen pour l’humour noir et du talent de son illustre aîné, Bong Joon-Ho (Memories of Murder, The Host, Snowpiercer). Déçu par l’accueil mitigé de son premier film, il travaille durant huit ans l’écriture d'un projet de polar décalé. Pour arriver à un scénario qui contienne suffisamment de cohérence et de situations à rebondissements, il expliquera :
C’était le temps nécessaire d'écriture pour le film, même si c'est effectivement trop long
En constant équilibre entre l’humour et la tension. Hard Day est une telle accumulation de malchance que le film semble faire des clins d’œil à ces personnages de cartoons plongés malgré eux dans une escalade de poisse. Il en résulte au final un film nerveux, tendu, jouissif mais freiné par quelques longueurs, des scènes beaucoup trop alambiquées et une morale franchement discutable.
Rarement un personnage n’aura été aussi proche de la définition littérale d’anti-héros. Corrompu jusqu’à l’os, empêtré dans des enquêtes judiciaires, père de famille absent, le personnage principal est un flic tout ce qu’il y a de plus ripou. Alors qu’il se rend à la morgue où est entreposé le corps de sa défunte mère, il est malencontreusement impliqué dans un tragique accident. Au volant de sa voiture, il est venu percuter un individu au beau milieu de la route. Ce dernier décédant sur le coup, les emmerdes de notre protagoniste ne concernent désormais plus que sa propre personne. Fini les problèmes collectifs (l’enterrement de sa mère avec la famille, l’enquête judiciaire avec ses collègues), il va devoir régler tout cela par sa seule logique précipitée. Une logique des plus insensée qui l'amènera à transporter le corps de l’individu, le déposer dans le cercueil de sa mère et échapper sans cesse aux contrôles à la police. Et si déjà là, on pouvait tenir un brillant court métrage d’une ironie et d’une loufoquerie sans nom, l’intrigue ne s’arrête pas là et va enchaîner les situations les plus rocambolesques. L’arrivée d’un antagoniste plus fourbe que notre personnage principal sera le prochain vecteur du film et sonnera comme le début d’ennuis toujours plus poussifs. Il y a là un vrai plaisir viscéral à voir toutes les situations les plus inimaginables lui tomber dessus. Une empathie semble naître à son égard tant chaque problème réglé semble en amener de nouveaux, l’enfonçant un peu plus dans une situation irrécupérable. Avec l’arrivée de cet intrus, une ambiguïté se dessine soudainement chez notre héros et il commence à révéler une profondeur psychologique et altruiste insoupçonnée. Le cinéaste nous fait prendre conscience que son héros agit de la sorte malgré lui, et aimerait raisonnablement éviter d’avoir recours à ce genre de solutions abominables. Pourtant, si au départ, on pouvait penser qu’il ne le faisait que pour assurer sa propre personne (individualisme), on comprend finalement qu’il tente de s'en sortir pour assurer également celle de sa fille (altruisme familial). Un homme qui se bat pour sa fille et sa dignité ne peut pas être foncièrement mauvais, semble-nous dire le réalisateur. Et c’est le message très implicite (et très discutable) du film, faut-il agir immoralement pour le bien des autres ? Voilà un discours qui mérite particulièrement réflexion.
Si le personnage remporte finalement (malheureusement ?) l’adhésion du public, il faut néanmoins avoir à l’esprit que Hard Day est un film où presque tous les personnages semblent être des anti-héros. Le réalisateur prend ainsi un malin plaisir à tacler la police de son pays. Alors que le réalisateur se défend d’avoir voulu en donner une image négative, le comportement des autorités coréennes en prend véritablement pour son grade. C’est bien simple, le personnage principal -policier donc de son état- dont la mission est de punir les crimes ne cesse de maquiller les siens. Sans compter que les agents en service ne semblent être que des pions idiots malmenés par la hiérarchie. La seconde partie du film offre alors une forme de rédemption à son héros, en le faisant donc affronter un personnage indésirable dans l’équation. Hard Day se mue ainsi au bout d’une heure en une forme de chasse à l’homme où l’un comme l’autre vont rivaliser d’ingéniosité pour se mettre des bâtons dans les roues. A ce moment donné, le film perd en rythme ce qu’il gagne fébrilement en affrontement psychologique. Les nerfs du spectateur sont cependant mises à rudes épreuves jusqu’à cet affrontement final, long, intense, tendu et particulièrement jouissif. Une petite merveille de mise en scène en huis-clos.
Il faut reconnaître par ailleurs que, si le scénario part dans tous les sens, la mise en scène de Kim Seong-hun est remarquable de virtuosité. On notera une course-poursuite particulièrement haletante tandis que l’affrontement final -précédemment cité- est d’une réjouissance monstrueuse. La fluidité des plans aériens côtoie la brutalité d’une caméra à l’épaule en passant par une steady-cam des plus appréciables ou la magnificence de certains plans larges. Sur ce point, le cinéaste atteint la hauteur de ses ambitions avec des plans originaux comme cette course-poursuite à pied filmé entièrement en plongé et à une hauteur sensiblement complexe. Le montage y est également ultra-efficace et découpé avec une fluidité chirurgicale. Ce n’est pas pour rien que les techniciens sud-coréens sont reconnus pour l’expertise et la qualité de leur travail sur les images. Cet enchaînement parfaitement exécuté à l’écran témoigne d’une énergie soutenue et d’une succession d’idées visuelles qui ne faiblissent que lors de certaines séquences plombantes.
Hard Day est un polar « Made in Korea » ne laissant que très peu de répit à son spectateur. Alors que le cinéma coréen a redéfini le genre polar par la noirceur et la violence de ses récits, Kim Seong-hun propose une alternative audacieuse au genre en lorgnant du côté de la satire, du thriller et de l’humour noir. Un film tendu et bien barré pour commencer l’année. Perdant un peu de souffle en cours de route, le film aurait tout de même gagné à voir sa durée raccourcie pour se concentrer pleinement sur ses intentions initiales. L’équilibre entre le thriller et l’humour était une ambition louable mais reste au final trop convenu et terre-à-terre pour se démarquer des codes habituels du genre.