... Doors that shouldn't be opened."
Jean-Baptiste Thoret m'a appris (dans cette intervention : lien) que la ville de Grand Rapids dans le Michigan, qui sert de décor au film pour déployer son introduction, est celle de Paul Schrader himself, là où il a grandi, dans le même contexte familial, calviniste, rigoriste. George C. Scott, c'est un peu son père dans un cadre légèrement autobiographique, et on imagine assez facilement le petit enfer que cette enfance a pu être. Je n'avais pas du tout en tête non plus que Schrader faisait dialoguer son intrigue avec celle de La Prisonnière du désert, même si cela fait sens à mes yeux, a posteriori. Bref, beaucoup d'éléments contextuels m'avaient échappé, mais sans que cela n'empêche d'adhérer au seul contenu, dépourvu d'interprétations.
On sent immédiatement que Hardcore est un film de scénariste dans la façon qu'a Schrader de poser le décor : il prend tout son temps pour présenter le contexte, nous permettre de comprendre les coutumes de cette famille, l'ambiance de cette ville, les habitudes de ce père et homme d'affaires ainsi que la culture structurant la vie des fidèles autour de l'église calviniste. Ce n'est qu'une fois les grandes lignes psychologiques esquissées que l'intrigue à proprement parler sera enclenchée, avec la disparition de la fille. Mais bon, difficile de se départir de cette image qui collera indéfiniment à la peau de Schrader d'homme derrière le scénario de Taxi Driver.
Et toute cette vie de famille bien rangée, maintenue dans sa bigoterie tranquille, trouvera une image inversée particulièrement explosive lorsque papa Scott devra écumer les bas-fonds des productions pornos flirtant avec le snuff movie, que ce soit à Los Angeles, San Francisco ou San Diego. Une autre image de la Californie... Bien sûr, un des moments les plus forts du film tient à cette séquence où le protagoniste découvrira les images du film dans lequel il reconnaît sa fille — le détective privé un peu poisseux, parfaitement interprété par Peter Boyle, et surtout cette répétition, "Turn it off!", face à l'insoutenable. On peut néanmoins trouver surprenant de la part de Schrader que des interactions avec certains personnages secondaires soient aussi peu approfondies, comme celle avec le personnage de Niki limitée à des différences franches (en rapport avec le sexe, tous deux trouvent ça pas important à la différence près que "You think it's so unimportant that you don't even do it. I think it's so unimportant that I don't care who I do it with.") et tristement expédiée en 30 secondes à la fin. De même la situation finale, avec explication express entre père absent et fille allée chercher de l'amour ailleurs, paraît étonnamment bâclée — j'aurais bien vu le film se terminer sur la note amère avant l'ultime revirement.
Mais malgré tout, voir George C. Scott écumer ces mondes opaques et glauques, déguisé en producteur de porno avec perruque / moustache / chaîne en or ou encore en pleine folie furieuse lorsqu'il défonce les cloisons d'un studio de tournage X, ça reste une performance intéressante en soi. Dans l'arrière-plan défilent les paysages urbains des différentes villes, souvent en travellings latéraux faisant dérouler les enseignes lumineuses et les devantures caractéristiques cerclées de néons, sur fond de musique parfois angoissante et agressive. L'ambiance est inoubliable.
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