La grève

"Harlan County U.S.A." correspond assez bien à l'idée que je me fais du documentaire engagé bien mené. Une approche à la fois puissante et émouvante, globale et minutieuse. Une immersion parfaite dans la grève des mineurs du comté de Harlan, dans le Kentucky, déclenchée suite au refus des patrons de la mine de signer la convention collective relative à un syndicat pour les mineurs. La grève dura 13 mois.

Barbara Kopple a filmé les grévistes durant la totalité du conflit, et montre assez bien la fragilité de la victoire, l'intervention des femmes dans la lutte, et la maladie liée à l'exploitation du charbon. C'est une image des États-Unis à laquelle on n'est pas forcément habitué, du point de vue européen... La culture populaire autour de la grève, notamment à travers les chansons composées pour l'occasion traitant des thèmes forcément durs, est très agréablement décrite. L'immersion dans la communauté des travailleurs est totale. Des blocages aux abords de la mine à la manifestation à New York, la caméra de Kopple est partout ; pourtant, elle semble invisible, comme totalement fondue dans le magma ouvrier. Elle est là lorsque les conflits s'échauffent, lorsque des coups sont tirés.

L'introduction est parfaite. Immersion au fond des mines, évolution des conditions de travail via l'interview des plus anciens mineurs, et les premières expériences de lutte sociale : l'alliance entre les différents organismes de l'état, police, armée, syndicats corrompus, et responsables de la mine est marquante. La mise en contexte, sans voix off, est radicalement efficace et évite les écueils habituels du genre (le didactisme, principalement). Puis vient le vif du sujet, au fil des jours, et les morts qui font aussi indéniablement que malheureusement avancer les choses... L'exemple même de l'alliance entre le cinéma du sens et celui de l'émotion.

La question du parti pris ne se pose pas. C'est du cinéma engagé, bien évidemment, mais Barbara Kopple laisse toute la latitude au spectateur d'approuver ou de réprouver, de se sentir concerné ou de passer son chemin. Le point de vue est porté avec talent et rigueur, de bout en bout. L'absence de contrepoint n'est pas une erreur. Tout l'inverse de la pléthore de documentaires à la recherche d'un consensus aussi fragile que factice qui inonde l'industrie du cinéma. Tout l'inverse de la pléthore de documentaires dits "engagés" qui ne font que colporter des états de fait sans contexte ni profondeur.

[AB #132]