Voici donc enfin venu le dernier réalisateur à avoir officié sur la saga Harry Potter, à ce jour du moins : David Yates. Si les choix de Cuaron et Newell avaient de quoi surprendre, celui de Yates peut s’expliquer beaucoup plus logiquement. Réalisateur totalement inconnu, auteur de quelques obscurs téléfilms britanniques, l’homme semble présenter le profil-type du parfait Yes Man, peut ambitieux, peu coûteux, et parfaitement enclin à céder à toutes les exigences des studios sans broncher. La tactique est bien connue, et a depuis été réutilisée de nombreuses fois, notamment par Marvel Studios. Le problème étant que sur une saga jusqu’ici placée dans les mains de cinéastes confirmés, la différence fait mal.
David Yates peine à trouver de véritables idées. Sa mise en scène trahit ses origines télévisuelles et témoigne d’un manque flagrant d’inventivité : le cadre est rarement utilisé à son plein potentiel, le mouvement limité à sa plus simple expression, tout est filmé de manière on ne peut plus scolaire. A quelques reprises, Yates semble vouloir dépasser son académisme et accouche de quelques trouvailles, qu’on identifie hélas bien trop vite comme de pâles imitations des procédés de mise en scène de Yates : c’est notamment le cas des scènes de transition, où la caméra traverse volontiers les vitraux et fenêtres de l’école pour passer d’un espace à l’autre. Astucieux, mais déjà vu, et en mieux, chez le mexicain. Le nouveau venu ne jouit même pas du sens du spectaculaire que pouvaient posséder Columbus ou Newell, les scènes d’action sont tristement filmées et montées. Quant au duel final, toute son ampleur est annulée par le non-talent du réalisateur, là où un Peter Jackson ou un Guillermo Del Toro aurait fait des merveilles avec une scène semblable, et tout le gigantisme qu’elle peut offrir. Ne parlons pas des séquences censées être émouvantes, ici vidées de toute substance.
La mort de Sirius Black est complètement fade et laide, difficile de ressentir quoi que ce soit.
Mais la photographie est peut-être le point qui blesse le plus. Elle est tout simplement laide, sans aucune unité, mal employée. La teinte globale se veut grisonnante et bleutée, mais les couleurs sont bien trop vives et jurent souvent entre elles, donnant parfois l’impression que les différents objets présents à l’image sont collés sur elle à la manière d’un bricolage. Bref, Yates n’est pas un bon réalisateur, n’ayant ni de véritable patte, ni de talent dans la mise en image.
C’est plutôt dommage, parce qu’en dehors de ça, L’Ordre du Phénix est un film plutôt agréable. Après un quatrième volet très orienté action, celui-ci renoue avec un aspect vie scolaire un peu délaissé, tout en politisant l’univers. Et demeure très plaisant à suivre grâce à un rythme bien géré. Faire du livre le plus long de la série le film le plus court de la saga pouvait sembler absurde, mais la condensation de l’œuvre de Rowling est cohérente, l’essentiel est conservé pour maintenir une certaine fluidité, et aucun des changements ne heurte vraiment. Tout ce qui concerne le conflit entre Poudlard et le Ministère de la Magie est assez habilement traité, entre jeux de pouvoirs, tentatives de propagande, importance de la presse. Dans ce cadre, l’introduction du personnage d’Ombrage est une franche réussite. L’employée du ministère, devenue professeur despotique, dirige l’école d’une main de fer, face à laquelle la résistance s’organise pour le plus grand plaisir du spectateur. L’actrice Imelda Staunton était tout simplement parfaite pour le rôle, incarnant à merveille l’aspect faussement propret et le caractère impitoyable d’Ombrage, tout en lui apportant une interprétation plus nuancée. Les traits de l’actrice alternent régulièrement entre une satisfaction proche du sadisme et de véritables éclairs de doute, donnant une profondeur au personnage absente de l’ouvrage de Rowling.
Toutefois, même dans son écriture, le film souffre de limites, qui sont hélas également celles du roman. Dans le cinquième opus, J.K. Rowling place son héros dans une situation de conflit et d’isolation : Harry est à la fois torturé par la connexion qui semble s’établir entre lui et Voldemort, et affecté par l’impression d’être seul face au reste du monde. Une métaphore assez évidente de l’adolescence, période de doute et de recherche de soi par excellence. Il est dommage que Rowling, qui traitait jusqu’alors son personnage avec une certaine justesse, semble ici développer une vision de l’adolescent torturé semblable à celle de George Lucas : à savoir un caractère irascible, et des accès de colère permanents. C’était irritant dans le livre, ça l’est un peu moins dans le film, mais les sautes d’humeur du jeune Potter (justifiées par le scénario, certes) demeurent difficilement supportables. D’autant plus que Radcliffe n’aura jamais été aussi mauvais que sous la direction de Yates. Difficile dès lors, d’éprouver à l’égard de notre héros autre chose que l’envie de le baffer, particulièrement lors de ces instants éprouvants. C’est également à partir du cinquième tome qu’est introduite l’idée de Harry Potter en tant qu’élu, destiné à triompher des forces du mal, que je trouve assez superflue et hors-de-propos (même si c’est surtout dans le dernier tome que Rowling s’en donnera à cœur joie). La relation entre l’adolescent et son parrain Sirius Black est, en revanche, plutôt bien sentie, aidée il est vrai par le charisme de Gary Oldman. Tant qu’à parler des acteurs, mentionnons également Helena Bonham Carter, qui semble littéralement possédée dans la peau de Bellatrix Lestrange et livre une prestation over the top assez savoureuse.
La redécouverte du premier film de David Yates fut finalement moins désagréable que prévu. Malgré un manque évident de talent dans sa mise en forme, le film se suit sans déplaisir et parvient à renouveler habilement les modalités de l’univers. Il est juste assez dommage que Yates soit resté à la barre, sa version tristement plate de l’univers ne parvenant jamais à le sublimer, et à faire de ses films autre chose que de simples adaptations, plus ou moins fidèles, des livres de Rowling.