--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au vingt-huitième épisode de la sixième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/The_Invisibles/2413896
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---
J'avais si peu à dire d'Harry Potter 6 que j'ai décidé, malgré mon irrépressible envie de coucher sur le papier toutes mes aventures de la veille, de reproduire le modèle que j'avais appliqué dès très tôt dans le mois-monstre de la critique groupée pour les séries de films. Une seule critique pour l'entièreté de la saga, ça aurait fait grossier, et paresseuse, mais une seule pour les trois derniers volets, qui font exprès de s’éterniser, que ce soit en nombre de pages ou en nombre d'images, pour faire semblant d'être devenu une intrigue très complexe, ayant besoin de beaucoup d'explications, finalement ce n'est qu'un juste revers de bâton. Oui mais voilà, que ce soit d'un film ou de trois, je n'ai rien de plus à dire. Pendant ce temps là, et puisqu'encore une fois mon rythme de visionnage a été freiné par mon rythme de lecture, les événements se sont accumulés, ne faisant qu’accroire mon envie de les narrer, et ma frustration de ne pas le pouvoir. Frustration qui a peut être elle même nourrie ma contrariété et ma froideur face au dénouement de la saga de Mme Rowling, qu'elle soit paginée ou pelliculée. Mais maintenant que les deux livres sont lus, que les trois films sont vus, et que toutes les aventures ont été vécues, il va falloir passer aux aveux : ceci n'est pas une critique d'Harry Potter 7-2. Ceci n'est pas beaucoup plus une critique des trois opus Harry Potter 6, Harry Potter 7-1 et Harry Potter 7-2. Ceci n'est qu'un récit de mes activités de la nuit du 31 octobre au 01 novembre 2022.
Un peu comme mes souvenirs des films finalement, mes souvenirs de ces événements s'effacent pour ne devenir qu'une brume poisseuse, où tout se mêle et se confond. Combien de temps s'est écoulé entre ma visite à l'homme invisible et ma décision de brûler le parchemin ? Je ne sais. Peut être plusieurs jours, peut-être plusieurs secondes. A partir de quel film le joli effet de tissu froissé caractérisant l'emploi de la cape d'invisibilité a-t-il été remplacé par un banal et absurde effet de vortex ? Je ne sais, et pour tout dire, je m'en contrefiche. Car voilà bien le nœud du problème : j'ai perdu tout intérêt pour cette interminable série, pour ses interminable pavé qui, bien que régressant légèrement sur la quantité de pages, après l'indigestion mondiale du tome 5, n'a pas progressé pour autant sur la qualité du contenu. Le tome 6, bien que cherchant à recomposer de toute pièce une intrigue qui aurait bel et bien pu avoir besoin de 7 tomes pour se résoudre (7 horcruxes, 7 tomes, dommage), mais qui arrive bien trop tard dans une narration qui s'est laissée porter sans fil conducteur jusqu'ici, n'est qu'un vaste ramassis de rien du tout, entrecoupé de flash-backs qui flairent bon le « puisque le tome 1 était le plus réussi, nous n'avons qu'à en faire une version alternative avec un personnage différent, qui sera plus méchant pour plaire aux nouveaux goûts de mon lectorat ! ». Les films s'enterrent également dans la même recettes éprouvées, sans renouvellement, sans réenchantement. Ôter, refaçonner, renouer, et galoper de scène-clef en scène-clef, avec régularité et précision, pour ne surtout par froisser le lecteur tatillon qui daigne accorder son regard à l'adaptation de son livre de chevet. Et moi de m'ennuyer devant cette affligeante absence de rebondissements. De m'enterrer à mon tour dans une terrible routine : J. K. Rowling me délivrant les éléments de son intrigue avec platitude et médiocrité (et parfois un peu d'absurdité aussi, comme quand elle lance Dumbledore du haut de la tour. Je l'ai toujours imaginé tomber en poussant un cri Wilhelm), moi n'étant surprise de rien tant le ton sur lequel on me narrait cette histoire était monocorde et dénué de passion, puis m'ennuyant à nouveau, devant ces films se démenant pour me divertir, mais ne sachant non plus me distraire puisque justement, j'avais déjà toutes les informations. Et d'ailleurs finalement heureusement peut-être, car malgré ses cinq heures d'adaptation foutraque, le septième opus parvient quand même à être incroyablement nébuleux, à croire que le scénariste a qui on a refilé l'adaptation n'avait pas compris le livre.
Parfois mes aventures et mes visionnages s'accordent avec perfection, le film me donne la leçon qui me sauve la mise quelques heures plus tard, ou m'apaise et me réconforte après des péripéties intenses, y donnent un sens, où au moins un angle d’approche. Là, non. Je n'ai aucun lien à faire entre la fin des aventures d'Harry, et la fin de celles de l'homme invisible. Après le visionnage de Casper, Sirius m'avait rejointe, et nous nous étions dirigés, dissimulés sous nos déguisements que nous avions assortis d'une transformation partielle qui leur donnait un réalisme amusant beaucoup les enfants que nous croisions, vers l'adresse que nous avait renseigné le marchand de potion des mois avant cela. J'avais repéré les deux gorilles de Lycaon nous suivant à une distance respectueuse, et mis un point d'honneur à ne surtout pas leur adresser la moindre attention. Qu'ils rentrent dire à leur chef que sa dame n'a guerre besoin de son aide, et que cet amoureux adorable mais sur-protecteur apprenne. La maison de notre homme était d'une affligeante banalité, ses murs bétonnés, sa médiocre porte blindée, rien n'indiquait qu'ici habitait une créature dangereuse et mystérieuse. Le fait m'arracha un sourire : sa maison aussi, était frappée d'invisibilité. Dissimulant notre appréhension sous nos masques, Sirius et moi retrouvâmes nos formes pleinement humaine, pour ne pas attiser les soupçons, et frappâmes à la porte, claironnant la traditionnelle formule proposant à l'habitant dérangé de choisir entre une offrande de friandise ou un maléfice. Quelques froissements d'un pas léger furent les seuls sons qui nous parvînmes, et je vis le judas s'éclairer de la lumière du salon. La lumière continua de le traverser tandis que l'hôte nous scrutait à travers, signe que nous ne nous étions pas trompés d'adresse. Il ne montra aucune aptitude particulière à nous démasquer, et j'en fut presque déçue. Tel un Scrooge d'Haloween, il referma bien vite le judas et nous renvoya en ronchonnant, sans ouvrir la porte, prétendant n'avoir rien à nous donner, en plus du fait que nous étions trop âgés pour jouer encore avec ces gamineries. Nous n'allions pas tourner autour du pot pendant des heures, aussi lui annonçais-je que je savais de source sur qu'il disposait de gourmandises qui m'intéressaient au plus haut point. Le judas se rouvrit, mais ce fut la seule information m'indiquant que j'avais éveillé son intérêt, car il resta muet derrière la porte. J’enchaînais donc sans attendre en lui annonçant que j'étais hautement recherchée par des connaissances communes, et que s'il ne voulait pas voir sa soirée d'Halloween virer à la rave party des forces obscures, il ferait mieux de me laisser entrer fissa, plutôt que de me laisser exposée sur son pallier. Le cliquetis caractéristique de l'armement d'un revolver traversa la porte blindée à notre ouïe fine. Sirius se crispa. Chez lui ce sont les mains. Quand un lycan est sous tension, quand il s’appète à bondir, il y a toujours une partie du corps qui anticipe la transformation. Comme un chien qui se met à gronder, ou un félin hérissant son poil, le lycan annonce, subrepticement, que la métamorphose est imminente. C'est une pulsion incontrôlable, et que j'ai appris à lire. Pour moi ce sont les dents. Les canines s'allonge légèrement, et s'aiguisent. Lycaon c'est les oreilles. L’arrondi se brise, les oreilles remontent légèrement le long du crane, et se mettent à ressembler à celles d'un elfe, ornées d'un duvet brun. Pour Sirius c'est les mains. Les nôtres se frôlaient à cet instant, et je senti la douceur de sa peau se transformer en celle d'un pelage, je senti les muscles gonfler, et je devinais les doigts se rétractant, anticipant déjà la complète transformation en patte. Je saisi cette main qui n'en était déjà plus complètement une pour l'inciter à se tempérer. Avec la décharge que je venais de donner à notre hôte, il était normal qu'il cherche à se défendre. Armer un revolver n'étais pas encore tirer, et quand bien même, il n'avais de toute évidence pas encore les clefs pour savoir ce que nous étions, et il était donc hautement improbable que la balle soit en argent. Le cliquetis du revolver fut suivi, plus sonore, par le cliquetis d'un trousseau de clefs qui s'agitait près de la serrure. Une seconde plus tard, la porte se refermait, avec nous de l'autre coté. Les agents de Lycaon étaient restés dehors. S'ils étaient malins ils se dissimuleraient à proximité de la maison et laisseraient leur ouïe me surveiller. C'était déjà bien plus que suffisant.
Notre hôte quant à lui ne s'attendait visiblement pas à recevoir de la visite. Il ne portait, comme son confrère du roman de Wells, ni bandelettes ni faux nez, mais il se protégeait du froid de novembre avec un peignoir un soie et une paire de pantoufles, qui le rendait d'autant plus ridicule que c'était là tout ce qu'on voyait de sa personne. Et le revolver dont l'éclat m'éblouissait quelques peu, pointé dans notre direction. Je trouvais très perturbant de ne pouvoir voir ses yeux, mais j’eus le sentiment qu'il nous scrutait longuement. Sans savoir vers où se dirigeait son regard, j’eus peur qu'il ne visse les mains de Sirius et ne nous démasque. Même si nous étions venues en amis, je ne tenais pas à montrer toutes nos cartes dès la première manche.
« -Alors c'est vous qui avez saccagé la boutique. »
Ce n'était pas une question. Il nous avait observé et en avait déduit la vérité.
« -Le tenancier nous devait des informations. Il refusait de s'en acquitter. »
Je ne savais pas vraiment pourquoi j'essayais de me justifier auprès de ce type. Mais je ne pu m'empêcher d'ajouter :
« -Cet humain est dangereux.
-Il ne l'est plu.
-Nous ne l'avons pas tué !
-Je sais. Moi si. »
Sans rien ajouter, il ôta ses pantoufles, rangea le revolver dans la poche de son peignoir et nous tourna le dos pour nous inviter à le suivre dans le couloir. J'analysais la situation. Même si ce changement de comportement était étrange, il ne fallait pas baisser notre garde. Au moindre mouvement suspect de notre part, il lui suffirait d'un geste pour ôter son peignoir et être complètement invisible. Une arme bien plus redoutable que le revolver. Je poursuivait la conversation tout en lui emboîtant le pas, tentant de dégager autant que possible l'angoisse de ma voix :
« -Pourquoi ? Désarmé de sa boutique il n'était plus si menaçant.
-Cette boutique n'était pas une arme, c'était un remède ! Le seul que j'avais. »
Je vis le peignoir de soie trembloter légèrement. Alors que nous entrions dans le salon, je me remémorait Casper et profitait qu'il ai le dos tourné pour activer ma nyctalopie. Quelques secondes me furent nécessaires pour m'ajuster à l'éclairage désuet des appliques murales, et je n’eus qu'une fraction de secondes pour voir avant qu'il ne se retourne et que je ne fusse contrainte de reprendre mon regard humain.
« -Puisque vous êtes là voudriez-vous un thé ?
-Il n'y a qu'une seule boisson ici qui m'intéresse.
-Et vous ? »
Il se tournait vers Sirius sans prendre la peine de relever ma provocation. Ma patience s'étiolait, et son affront m’agaçait, mais je parvint à contenir ma réaction à un froncement de sourcil. « -Je ne vais pas vous empoisonner » dit-il sur un ton neutre, en réaction à la réponse négative de Sirius. Sa propre tasse fumait encore sur la table basse, aussi s'assit-il et en repris la dégustation. Sirius s'assit dans le fauteuil voisin, et moi sur l'accoudoir. Tandis que nous nous obstinions à le toiser sans rien dire, il reprit, et j'acquis alors l'absolu certitude que sa solitude le dévorait, et que nous étions, malgré son apparente hostilité, l’interaction sociale qui lui manquait tant depuis, probablement, qu'il ai tué le marchand.
« -Si vous teniez tant à acquérir ma potion, pourquoi ne pas simplement l'avoir achetée à la boutique ? N'était-ce pas un peu contre-productif de détruire ce lieu ? »
C'était vrai. C'était ce que je désirais en entreprenant le mois-homme-invisible l'année précédente. Devenir invisible. Mais j'ai eu beau pester contre tous ces films plutôt médiocres, je me rendis brutalement compte qu'il m'avait appris, peut-être bien plus que ceux d'autres cycles. Du plus petit détail, comme Casper me révélant que je pouvais discerner la silhouette de l'homme invisible avec ma vision nyctalope, aux plus grandes généralité, comme Les Aventures de l'homme invisible me faisant prendre conscience que l'invisibilité absolue n'est pas de faire disparaître physiquement son enveloppe charnelle, mais de se fondre dans la masse et de s'y noyer dans l'anonymat. Que je ne voulais pas d'une potion d'invisibilité. Que je ne voulais pas non plus de cette autre invisibilité, car Sirius m'avait révélé qu'on n'existe qu'à travers le bien qu'on apporte aux autres. Sirius qui était l'homme invisible avant que je ne le déniche, que je ne le vois vraiment et rompe le maléfice. Il y avait une photo encadrée sur un buffet. Mon instinct me dit instantanément que c'était lui. La surprise me gagna et je me mis à douter. Je décidais de contourner ostentatoirement sa question pour lui en poser une moi-même :
« -Pourquoi vouloir cacher un si beau visage ?
-C'est un visage que je n'ai plu, répondit-il en se tournant lui aussi vers la photographie.
-Oui je vois ça, dis-je dans un demi-sourire »
Je le senti sourire, puis ce sourire disparu dans un soupir. Les épaules du peignoir de soie s’affaissèrent lentement, il posa sa tasse doucement sur la table, pris une grande inspiration, et me raconta tout, dans un seul souffle, sans omettre de détails, sans revenir en arrière, comme un discours qu'il aurait répété longuement dans l'attente d'un auditoire pour l'entendre. Toute son histoire tragique, ses origines aisées, ses études brillantes, ses fiançailles heureuses, puis la guerre, l'obus, la douleur transperçante, la perte mortifiante, le sourire forcé des infirmières, l'effroi dans les yeux de sa fiancée, de ses parents, de ses frères, de ses amis. Puis sa lecture d'H.G. Wells, sa conclusion jugée fantaisiste, sa poursuite acharnée de chimères, sa découverte du trésor. La reprise des recherches de son confrère disparu, et la délivrance, enfin, de pouvoir regarder un miroir sans sentir son estomac se retourner. De n'y voir ni le beau ni le laid. De n'y rien voir. « Comme un vampire » ne pu-je m'empêcher de songer. Sirius avait agrippé ma main pendant le récit, ou peut-être était-ce moi qui m'était accroché à lui. Faut-il que tous les habitants de la nuit aient tant de tragique dans leur passé ? Sa souffrance résonnait avec les nôtres. Je pensais au peuple décimé de Lycaon, au rejet des siens de Wulver, aux amours tragiques de la reine des vampires, à la sœur perdue de mon amie sorcière. L'humain, ses guerres, sa bêtise et son ignorance sont capable de tant faire souffrir.
« -J'ai voulu rejoindre les miens, mais je me suis vite rendu compte qu'à leurs yeux, l'invisibilité n'était qu'une autre forme de difformité. Je me suis rendu compte aussi que l'enveloppe de mon âme s'était arrachée avec mon enveloppe physique. Sa partie extérieur, celle qui composait ma personnalité et ma bienséance. Ne restait plus, à vif, que mes sentiments sourds, ma colère, ma peine, sans rien pour les empêcher de jaillir. Je m'en suis rendu compte après avoir eu les mains souillées du sang de ceux que j'aimais. Alors je me suis enfermé ici, et j'ai noyé l'ennui et la solitude dans mes recherches. Mon doyen avait prouvé par l’expérience que seule la mort libère de l'invisibilité. Il n'a pas eu le temps, le pauvre, de s’apercevoir d'un autre effet secondaire : la longévité que celle-ci procure. Alors j'ai cessé d'attendre la mort et j'ai poursuivi mes recherches. »
Il a soupiré encore, et s'est levé. Je ne me rendais compte qu'à cet instant de la lenteur de sa démarche, de ce pas irrégulier qui caractérise les personnes âgées. Il a ouvert un tiroir à son bureau, en a sorti un vieux parchemin, et est revenu s’asseoir. Il me l'a tendu. Je l'ai posé sur mes genoux, et ai gardé sa main serré dans la mienne. Je ne fus même pas surprise qu'il ai deviné notre nature quand il reprit :
« -Je ne suis pas comme vous cependant, et même si mon corps à mit du temps à vieillir, je crois qu'il y est finalement parvenu. Je sens les rides sillonner ce qu'il reste de mon visage quand j'ose le toucher. Je ne vois plus si bien qu'avant, il m'est difficile de lire, que ce soit un livre ou une formule que j'ai écrite d'une main tremblante. Puisqu'elle semble tant vous intéresser, et puisque de toute façon je ne pourrais plus en faire le commerce, je vous confie la formule qui a été la cause et la finalité de ma très longue vie »
J'avais une main cramponnée à celle de Sirius, l'autre posée de manière rassurante sur celle du vieillard, et en regardant le parchemin posé sur mes genoux, j’eus le sentiment vide qu'aucune de ces attaches ne valait la peine d'être déliée pour le déplier. Sirius cependant saisi délicatement le manuscrit, et le déplia lentement. Il le parcouru attentivement, avec des yeux s'agrandissant d'effroi. Je sentais sa main se contracter compulsivement à chaque fois que ses yeux revenait à la ligne pour déchiffrer l'ingrédient suivant. Il déglutit.
« -Comment vous procurez-vous tout ça ? Dit-il d'une voix blanche.
-Ça n'a plus d'importance. Fabriquez-en si ça vous plaît, pour moi c'est assez. Mis à part les... difficultés pour trouver les ingrédients, cette formule est inoffensive. Puisque je savais que la décoction perdait ses effets à la mort du patient, je suis parvenu à un dosage dilué permettant une perte des effets par le sommeil. Quant à moi, j'ai été trop impatient de me débarrasser de cette apparence dégoûtante, et je me suis administré la première dose que j'ai pu créer, sur la formule de mon ancien confrère.
-Vous voulez dire que c'est permanent ?
-Plus jamais on ne m'imposera la vision de moi-même.
-Mais alors pourquoi continuer d'en fabriquer ?
-Pour la vendre aux sorcières. Pour avoir des revenus, pour l'échanger contre des régulateurs d'humeurs bien plus efficaces que les tisanes auxquelles je suis réduit, pour financer mes recherches.
-Quelles recherches encore ?
-J'ai aussi trouvé l'antidote. »
Sirius et moi échangeâmes un regard interloqué. Je ne pouvais voir son visage, mais l'homme invisible semblait amusé. J'ouvrais plusieurs fois la bouche sans prononcer un mot, avant de trouver les bons :
« -Vous ne souhaitez pas vous en servir ?
-J'ai dit que plus jamais on ne m'imposerait la vision de moi-même.
-Mais enfin la chirurgie a...
-C'est assez »
Il n'avais pas crié. Il était même d'un calme bienveillant presque inquiétant. Je me tus. Nous entrions dans la dernière phase de cette rencontre. La main de Sirius dans la mienne se décontracta imperceptiblement, et je sentis son pouce caresser doucement le dos de mes doigts. Je pris conscience que les rôles s'était inversés et que désormais c'était moi qui avait besoin d'être rassurée.
« -J'ai tout perdu et désormais je suis vieux. Très vieux. Trop vieux. Peut-être qu'en prenant cet antidote, les années se rappelleront à moi et me tueront. Mais j'ai peur de mourir. J'en suis terrifié. Car une fois mort, alors vous autres les vivants, pourrez de nouveau contempler ce masque de terreur qu'est mon visage. »
L'air sembla vaciller un instant. Sirius avait même cessé de respirer. L'homme invisible ne bougeait plus. Le silence semblait ne plus pouvoir être brisé. Sirius replia méticuleusement le parchemin et le reposa sur mes genoux. Je lâchait sa main doucement et glissait le document dans la poche intérieur de mon blouson. Par la fenêtre, j’aperçus l'un des gardes de Sirius nous observer. Je changeais mes yeux et les chargeait de menaces, pour lui faire comprendre de s'éloigner. La maison avait l'air solide, mais je ne voulais pas qu'il nous entende. Il m'obéit et disparu de mon champ de vision. En reportant mon attention à l’intérieur, je remarquait une petite fiole posée sur un buffet. Devinant ce qu'elle contenait, je me levait doucement pour aller m'en saisir. Leur faisant dos, j’eus enfin le courage de briser le silence, et commençait à raconter mon histoire. J'allais plus lentement, n'ayant, moi, pas ressassé le récit jour et nuit dans l'attente d'un ami pour le recueillir. J'essayais de ne pas trop y penser tout en racontant, pour ne pas laisser ma compassion submerger mes paroles. Comme lui, je m’efforçais d'être claire, de dire les choses sans artifices, la vérité brute, avec les détails, sans revenir en arrière. Sirius aussi apprenait des choses qu'il ignorait. Lycaon aurait été ici que lui aussi peut-être aurait appris des choses. Je m'efforçais, sans doute pour la première fois de ma longue existence, à ne rien dissimuler. C'était un exercice difficile. Je m'y appliquait. Les deux autres m'écoutaient et se taisaient. Sirius d'abord interloqué puis fasciné, l'homme invisible transi d'un sentiment qu'il n'avait plus connu depuis des décennies. Je crois que c'était la joie d'avoir enfin un ami qui se confiait à lui.
***
Quand Sirius eut lui aussi fini le récit de son existence, le soleil commençait à se lever. Ses rayons s’agrippèrent dans la fiole qui était restée posée au creux de mes mains, après que je sois revenue m'asseoir auprès d'eux. Nous la regardâmes tous les trois en silence.
« -Promettez que vous ne regarderez pas mon visage. »
L'homme invisible attendit nos solennels hochement de tête avant de se saisir d'une main tremblante de l'antidote entre mes mains. Il se leva, franchit une porte et la referma délicatement derrière lui. Je me levais et me mis à faire les cent pas dans la pièce, tâchant de couvrir par le bruit de mes propres pas, les sons de la pièce voisine, de tissus froissés, le tintement de la fiole, le pop du bouchon qui la libérait, la respiration hachée, le dernier soupir. Je marchait de plus en plus vite, et lorsque Sirius vint interrompre mon anxiété d'une rassurante main sur l'épaule, j’enfouis mon visage contre sa poitrine et m'autorisait enfin à pleurer. Je sentis ses larmes mouiller mes cheveux aussi, et nous restâmes ainsi enlacés longtemps. Puis, cramponnés l'un à l'autre, nous allâmes ouvrir la porte. Il gisait au sol, étendu sur le dos. Il s'était vêtu d'un pantalon à pince noir et d'une chemise grise. De cette chemise dépassait ses mains noueuses, tachetée de brun, et une alliance brillait à son annulaire. Un linge noir s'était froissé sur son visage pendant sa chute. Je m’accroupis doucement près de lui les yeux fermés, et ré-étendit le linge correctement. Sur un mur, un drap noir recouvrait un miroir.