Aucune attente particulière, si ce n'est la hâte d'aller revoir Peter Mullan. Le péril doloriste était envisageable avec un sujet pareil, mais mon petit doigt me disait de ne pas se fier à cette crainte et il a été de bon conseil.


Au contraire d'un film plein de pathos, chouinant sa misère, accumulant les emmerdes sur un personnage qu'est "bien malheureux, ma pauv'dame", Hector est un film digne, balançant au plus juste entre son réalisme et son humanisme, flirtant avec la souffrance mais regardant de l'avant, définitivement dans un équilibre qui m'a semblé parfait, du moins qui a garanti une lecture agréable, jamais empesée. Le film montre le quotidien, difficile bien entendu, d'un sans domicile fixe, jeté sur la route par un sentiment de culpabilité tellement fort qu'il a viré à la dépression. On rencontre ce personnage à un moment où il émerge un peu enfin.


Le film reste sur des sous-entendus. On comprend qu'il y a une raison plus impérieuse que les autres pour décider cet homme brisé à renouer avec son passé. L'écriture du scénario m'a énormément plu.


La mise en scène est parfois très classique. Jake Gavin ne cherche pas l'esbroufe, ni l'esthétisation de son propos. Sa mise en scène reste très proche des comédiens qui s'en donnent à cœur joie. On imagine sans aucune peine le plaisir qu'ils ont eu à jouer ensemble ces très belles scènes. Que le visuel ne soit pas mis en avant est le cadet de nos soucis finalement. Car ce qui compte est dans l'enchaînement des situations, les échanges entre les personnages tout en subtilité et donc la direction des acteurs toujours très juste.


Le résultat donne un bien joli film, solidement bâti, maîtrisant ses émotions, bousculant juste ce qu'il faut, sans déborder. Pourtant, on ne nous épargne rien de ces journées ordinaires dans le froid, sous la pluie, face à la violence, mais également la solidarité et l'humanité simple ou l'indifférence du premier venu. Le film est presque exhaustif dans ce sens. Il n'édulcore ni n'exagère ; il marque le réel à la culotte et parvient à délivrer un récit jamais rébarbatif. Didactique sans en avoir l'air, il n'emmerde pas (ou alors faut vraiment faire preuve de mauvaise volonté).


Du reste, il n'en a pas le temps : moins d'une heure trente qui passe vite. On prend plaisir à voir jouer ces acteurs fins. Je m'empresse de souligner que Peter Mullan n'est pas le seul à briller. J'ai beaucoup apprécié Sarah Solemani dans une séquence remarquable de justesse, compliquée mais réussie, à l'image de tout le film où les personnages se livrent peu, sans non plus geindre. Je pense aussi à Gina McKee ou à Ewan Stewart avec des rôles peu évidents et qui sont pourtant impeccables.


Les blessures, tout le monde en a manifestement et, même s'il est tentant de s'en servir pour se plaindre, ils essaient de survivre en s'adaptant. Le film tente du moins de brosser le portrait d'une humanité combattante et surtout digne. Je crois que c'est le maître mot pour ce film. J'ai bien conscience du danger que représente ce terme. Il ne s'agit pas de morale, mais plus d'attitudes forgées par des histoires de vies différentes. Sans doute qu'Hector avant d'en arriver là en a bavé des ronds de chapeaux et a hurlé sa détresse avec pleurs et fracas. La tempête est derrière lui, toujours là dans l'ombre, mais il l'a battue. D'autres n'en sont pas là, plus jeunes, directement au cœur de la bataille, celle de leurs désillusions.


Et Jake Gavin, pour un premier film, réussit merveilleusement bien à dire tout cela sans effets de caméra, avec une sobriété exemplaire, aidé il est vrai par de bons comédiens. Si vous aimez Peter Mullan, ne le manquez pas ici. Son jeu complet, plutôt à l'économie vous l'aurez compris, est mis en évidence par de nombreuses scènes complexes, dans un jeu plus physique où les expressions du visage sont tellement "parlantes". Sa prestation est très riche, d'une puissance épatante. J'aime décidément ce bonhomme !


http://alligatographe.blogspot.fr/2016/01/hector-mullan-gavin.html

Alligator
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le 14 janv. 2016

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