Depuis ma découverte poliment endolorie de La région sauvage en salle, je n’attendais plus rien de ce jeune mexicain, cinéaste de l’épate qui grignotait alors et à mon avis à tous les râteliers pour devenir l’emblème d’un certain cinéma de la provocation, tant ça faisait office de film-somme bien lourd, mélange de cinéma social, familial, horrifique, fantastique, urbain, forestier, brumeux, silencieux, très découpé, très froid. Une sorte de crossover d’inspirations disparates se révélant indigeste. C’est en tout cas le souvenir, pas hyper agréable, qu’il m’a laissé.
La surprise est donc d’autant plus forte qu’Heli, malgré sa semi-consécration à Cannes où il récolta le prix de la mise en scène, s’est vu trainé dans la boue par une bonne partie de la presse fustigeant sa complaisance pour la violence. Et c’est vrai, Heli est plus direct, plus brutal. Il ne fait pas de détour. Il perd en mystère et en éventuelle force poétique – Je reconnais qu’il y avait une intensité étonnante via la présence monstrueuse dans La région sauvage – ce qu’il gagne en approche du réel, puisqu’il ne perd jamais de vue cette drôle de famille, aussi bien son modeste quotidien que sa traversée soudaine de l’enfer, partant d’une sombre et involontaire affaire de drogue, qui enchaine le siège, l’exécution et l’enlèvement puis vire à la séquestration et à la torture.
Le film est globalement archi violent, mieux vaut être prévenu. Il s’ouvre sur un amas de corps – qui occupe tout le cadre – dans le coffre d’une voiture avant d’en sortir un homme qui sera pendu du haut d’un pont. En offrant ce « flash forward » le film ne triche pas, en un sens, il annonce la couleur : Il ne faudra pas oublier que malgré la douceur un brin léthargique de ce portrait familial et romantique, la violence fera irruption. Violemment. On pense forcément à Kinatay. La construction n’est certes pas du tout du même ordre, Heli jouant davantage de l’ellipse et moins du temps réel ni de la stylisation musicale, l’idée du voyage en enfer et du retour à la normale non plus, mais on retrouve un peu de cette intensité de l’horreur qui s’invite dans le réel, et du prix qu’il faut payer pour s’en sortir financièrement chez Mendoza, pour jouir, sexuellement ou non, chez Escalante.
S’il supplante un autre très beau plan d’étreinte conjugale – Qui m’a par ailleurs beaucoup rappelé la scène de Batailla en el cielo, où l’objectif capte un coït avant de s’en aller virevolter vers les toits de Mexico, puis de revenir aux amants assoupis – le dernier plan d’Heli est une véritable splendeur de plénitude entre deux enfants, une petite fille et sa nièce, enlacées, endormies, sur un canapé. A cet instant, Escalante m’a semblé oser un clin d’œil à Stalker, lorsqu’un jouet ou bien un verre en plastique, tombe de la table basse, comme poussé non pas par une petite fille – qui par ailleurs se réveille au son de sa chute, jette un œil puis se rendort – mais par les courants d’air. J’aime beaucoup l’idée d’avoir d’abord vu les ténèbres jaillir par ces fenêtres, ces rideaux et que là, il ne reste plus que cette accalmie, lumineuse, caressante, dans laquelle un petit élément du décor serait le climax, aussi fantastique que trivial, quelque part.