Si on a le malheur d'explorer un peu les critiques américaines, assassines, à propos de cette nouvelle adaptation d'Hellboy, on se rend vite compte qu'elles abusent toutes du même procédé, à savoir l'inévitable comparaison avec les films de Guillermo del Toro. Et il faut avouer que dans cette optique, ce crû 2019 fait pâle figure. Tout ce qui fait la superbe des chef-d’œuvres (et je pèse mes mots) du maître mexicain est complètement absent. Exit l'ode populaire à la difformité monstrueuse, la fantasy merveilleuse retorse, le laboratoire d'univers. Exit même le personnage d'Abe Sapiens (ouais, ça fait mal), contrepoint magnifique à la personnalité du grand rouge.
Mais comment le film serait-il accueilli dans une dimension préservée de la déception de l'absence d'un troisième round, une dimension où Ron Perlman n'est pas considéré - à juste titre - comme un dieu (démon ?) vivant ?
Eh bien c'est sûr que les critiques traditionnelles n'auraient pas été beaucoup plus tendres. Par contre, beaucoup de fans de genre auraient probablement pris un certain pied. Parce qu'en dépit de défauts évidents, Hellboy demeure une bonne vieille série B généreuse comme on les aime, et surtout comme on aimerait en voir plus à Hollywood.
C'est le visuel qui prime dans le film de Neil Marshall. Le scénario ? Un prétexte. En fait, on ne comprend pas grand chose: bordélique au possible, fourre-tout complet, il n'est qu'un genre de fil rouge (eh eh) un peu relou qu'on a vite fait d'ignorer. Il faut dire qu'on voit mal comment les deux heures de métrage auraient pu contenir un bestiaire aussi bourrin sans que la narration en pâtisse. Hellboy débarque avec une nonchalance un peu forcée (David Harbour est un très bon choix de casting mais en fait peut-être un peu trop), déglingue 3-4 monstres en assaisonnant le tout de catchlines drôles une fois sur deux, et repart vers son aventure suivante.
Evidemment, à la longue, c'est un peu épuisant, surtout que le long-métrage n'échappe pas aux adresses "geek-badass©" popularisées par les Deadpool et autres Suicide Squad. Le grunge débarque à chaque changement de lieu pour approximativement dix secondes, histoire de faire une BO branchée (yeah), la mise-en-scène fait du pied au spectateur à coups de gros plans-séquences numériques,... Bref, ce qu'on pouvait craindre du lissage de l'univers à la sauce super-héros. Reste que devant la caméra de Neil Marshall, mais surtout la photo de Lorenzo Senatore, certaines scènes s'avèrent vraiment épiques et en décalage complet avec l'uniformité des antagonistes tous lisses qui squattent le box-office. Hellboy défouraille du monstre, du vrai, et bien que certaines créatures soient constituées de CGI un peu approximatifs, leur pluralité et leur difformité rend l'ensemble incontestablement attachant. En résultent des scènes de baston ou de confrontation aussi gratuites que variées.
On pense bien sûr à l'ouverture dans l'arène de catch ou encore à l'affrontement avec les géants, bien brutal et rythmé.
L'utilisation de la violence, de fait, est très différente de celle qu'on peut voir dans les succès R récents. Hellboy n'est pas un peu violent pour faire marrer les ados. Hellboy est carrément gore. Certaines exécutions font presque penser à des fatality, et elles sont de plus en plus présentes au fur et à mesure que le semblant d'intrigue se développe. Encore une fois, tout est dans le visuel. Le gore participe à l’esthétique foutraque et kitsch de l'univers déployé. Parce que Marshall se fout pas mal de la cohérence de ce qu'il filme, en fait. Bien conscient qu'il n'arrivera jamais à donner la moindre profondeur à ses personnages ou à leurs motivations, il s'emploie surtout à créer des images qui restent, à exploiter à son maximum l'iconographie de la fantasy horrifique.
Et c'est là la plus grande réussite d'un film aussi bancal: lorgnant parfois sur le conte ultra-sombre mais surtout sur la peinture apocalyptique, il crée de pures visions de cauchemar, telles qu'on n'en espérait plus au sein du cinéma à grand spectacle. Certains plans coupent le souffle, difficile de nier ça avec toute la mauvaise foi du monde.
Pour moi, cela culmine avec l'arrivée de ces démons dans Londres lors du troisième acte. Trop courte, la scène est absolument captivante, donnant à des créatures dont l'origine n'est définitivement plus un doute le pouvoir d'étriper une ville entière.
On retrouve le savoir-faire d'un mec qui, en plus de The Descent, a accouché de deux des épisodes les plus guerriers de Game of Thrones. Pas de sous-intrigue inintéressante, de love story flinguée, de réflexion pseudo-méta sur la place du héros ici. C'est un protagoniste déjà érigé au rang de symbole qui va déchaîner dans un bordel approximatif sans nom le chaos apocalyptique qu'on veut tous voir, au fond de nous. Simple, basique.
J'ai beaucoup pensé à Doomsday: lui aussi détesté par la critique qui y a logiquement détecté une absence de... sens, le film était un prétexte pour déballer une esthétique destroy avec toute la puissance nécessaire. Festival infernal complet, Hellboy est conçu sur le même principe. Humble, Marshall semble d'ailleurs se moquer des défauts de son film. Un des gags les plus réussis consiste à la confrontation forcément problématique entre la fantasy bourrin et une technologie moderne qui demande un peu plus de finesse. En ça, on a ici une pure série B à l'ancienne qui refuse de se plier aux exigences de qualité contemporaines pour juste nous balancer à la tronche la fin du monde telle qu'on ne l'a encore jamais vue. Et rien que pour ça, ça vaut le coup de faire fi du score Métacritique.