J'aime Hellboy. Ce grand exercice intertextuel qui rassemble toutes les mythologies, tous les folklores, toutes les légendes, tous les grands classiques de la littérature fantastique et de SF et tous les récits pulps en un seul grand univers cohérent, riche et inépuisable en nouvelles aventures.
L'imaginaire le plus geek qu'on puisse imaginer, tombé entre les mains de ce bon vieux Guillermo del Toro qui y aura apporté une veine épique et féérique mais se sera vu refuser le droit d'un troisième opus car l'Ogdru Jahad hollywoodien, à défaut de pouvoir amener notre destruction à tous, s'est décidé à plonger les masses dans le désespoir éternel. S'en était suivi un reboot par Neil Marshall au ton plus léger et rock'n roll auquel votre serviteur aura été sensible tout en étant conscient que c'était globalement pas terrible et le grand public lui a convenablement rendu la politesse en lui mettant un bon échec financier dans les dents.
Double déception pour le garçon venu de l'Enfer pour apporter l'Apocalypse, et qui l'aura tellement dévalué aux yeux des studio qu'il en sera réduit à la VOD pour nous parvenir de nouveau.
Pourtant dès l'annonce, une lueur d'espoir : L'Homme Tordu, récit culte de la série chapeauté au dessin par le regretté Richard Corben, qui affichait d'entrée de jeu la volonté de partir cette fois-ci du côté de l'horreur. Un bon début.
Puis vint l'annonce du casting principal, puis vinrent les premières images, puis vinrent le déluge et les jours de malheur, teintés d'un rouge aussi vif que l'immonde affiche du produit, qui invoquait l'impie mémoire des DTV horrifiques des années 2000. Augure de la qualité à venir ?
Le film qui nous parvient n'est pas nul à proprement parler. Il n'est pas bon, loin de là, mais on sent qu'à tous les niveaux il suffisait de pas grand chose pour le sauver.
D'accord, l'introduction digne d'un Asylum avec son araignée géante nous vendant avec beaucoup d'honnêteté la future non qualité des images de synthèse à venir et sa photographie grisâtre sans vie nous demandent d'avaler un apéritif très amer. Mais on tient le coup.
Car en guise d'entrée voilà qu'arrive l'intrigue principale, ce récit de paganisme de l'Amérique profonde digne de The Witch avec une scène plutôt pas mal d'une sorcière qui revient dans sa peau après l'avoir abandonnée. On est autant intrigués par la suite des événements qu'horrifiés par le jeu d'acteurs global, entre une sorcière blonde pas désagréable à regarder mais qui étend les tourments qu'elle inflige aux personnages à nous autres spectateurs via son surjeu constant et un Hellboy qui n'a ni le charisme de monstre tragique d'un Ron Perlman ni l'allure de vieux rockeur bourré de David Harbour (qui n'est jamais qu'un sous-Ron Perlman), et ses tentatives pour paraître badass tombent presque autant à côté qu'un mauvais joueur de Mario.
Et en parlant de chut, PAF! Plat principal : la scène de l'église. Soulignons à ce titre que le scénario est globalement fidèle à l'histoire d'origine, et que l'arrivée du fameux Homme Tordu rehausse le niveau général. Rien de bien extraordinaire, mais voilà un méchant digne de ce nom, parfaitement en adéquation avec l'ambiance folk-horror, et le cabotinage de l'acteur est en fait approprié pour une créature de ce type. On passera l'éponge sur les petits couacs comme une scène de zombies qui fait honte à plus de 60 ans d'histoire de tout un pan du cinéma d'horreur (l'époque où Brian Taylor coréalisait Hypertension est trèèèèèèèèèèès loin), mais on ne s'empêchera pas de pouffer puisque même lorsqu'il s'agit de reprendre fidèlement un passage important de l'histoire d'origine, citer What the Cut n'est peut-être pas une si bonne idée quand ton métrage se veut sérieux... Ceux qui l'ont vu savent et approuvent mes propos d'un hochement de tête plein de gravité.
Et c'est là que Brian Taylor, dans son extrême quoique étrange générosité, nous offre encore 30min lui permettant de justifier la durée moyenne d'un long-métrage de cinéma. 30min de scénario, un bon gros dessert inventant des péripéties absentes de l'aventure originelle, donc nous pourrons nous faire une idée plus précise de la vision du réalisateur sur cet univers et sur sa manière de l'aborder dans un cadre de film petit budgJE DECONNE !
Alors soyons de bonne foi : Voir Hellboy affronter les maléfices de L'Homme Tordu pendant 30min, c'est pas incroyable mais ça se regarde. En revanche, tout ce qui concerne la sous-intrigue avec son acolyte Jo souligne toutes les limites d'un personnage dont la seule fonction est de poser les questions que le spectateur pourrait avoir en tête et ainsi lui permettre de comprendre l'intrigue. Façon polie de dire que dans ton film globalement macho et un brin arriéré sur la représentation des sorcières, la seule péripétie du personnage féminin le plus important ne sert strictement à rien et est en plus la pire partie.
C'est aussi cette sous-intrigue qui met en lumière l'énorme problème de ton du film, qui se veut sérieux la plupart du temps mais a des saillies humoristiques inappropriées, voire un brin de nanardesque par instants que même un gros bis italien aurait eu des scrupules à nous infliger.
Et je ne l'ai pas précisé depuis le début, mais voilà encore un film qui veut traiter des origines de Hellboy. Chaque version filmique du personnage l'ai fait, et Crooked Man se concentre sur sa mère et ses tourments, ce qui inclut bien entendu pour un film sans trop de budget une scène sur fond vert moche plongée dans le noir intégrale où l'on remplace le grand démon cornu du récit originel par un corbeau en CGI de la qualité que vous imaginez. Et je dois reconnaitre que c'est peut-être la seule partie bien écrite du film, le seul moment où l'on s'attache à Hellboy et où l'on comprend la tragédie qu'est son existence. C'est certes inséré au forceps dans l'histoire pour gagner quelques précieuses minutes et faire croire que le machin tout rouge qui donne son nom au film mais qu'on a l'air de transformer en figurant de luxe une scène sur deux a eu un arc personnel, mais c'est toujours mieux que le non-climax du film, un mélange de CGI moches, de non-enjeux permanents, de photographie désespérément fade et de deus es machina un peu facile (Sérieusement, on peut tuer une entité démoniaque bicentenaire aussi facilement ?)...
On sent bien que ce film a été fait avec les meilleures intentions du monde, que le réalisateur voulait du même coup faire un vrai film d'horreur qui se tient et faire honneur à l'univers d'Hellboy. Mais de bonnes intentions ne font pas de bons films, et tôt ou tard, le manque de budget, l'absence d'idées de mise en scène et la carence de moyens techniques et d'acteurs dignes de ce nom nous suivent comme nos péchés, et comme le dit très bien l'Homme Tordu, ils peuvent être pardonnés mais pas oubliés. Quand le poids de nos fautes devient trop lourd à porter, il ne peut fatalement que nous conduire au néant de la créativité. Hellboy : The Crooked Man, et c'est bien là son plus grand péché, est un film désespérément dénué d'idées et de moyen et qui par-dessus le marché parvient à assécher complètement la fabuleuse mythologie d'Anung Un Rama pour en faire le plus banal des films d'horreur en VOD pondu par un studio tiers.
Hellboy devenu un fond de catalogue, l'injure suprême faite à tout ce qu'il y a de bon et de précieux en ce monde. Franchement, on ne méritait pas qu'il se sacrifie pour terrasser le Dragon et sauver l'Humanité si c'était ce qu'on avait de mieux à offrir comme oraison funéraire...