Western atypique, promoteur de la Bible et d'une héroïne à deux revolvers qui préfigure MeToo

Parmi les perles étonnantes qu'on trouve dans le groupe très heterogene des westerns de série B des années 40 et 50, dans le gradient qui va de films insignifiants (ou pire) à de purs chefs-d'oeuvre, cette bande là est unique.

C'est un objet filmique non identifiable, "un OFNI" pourrait on dire, car quand il est fini, on n' est pas sûr d'avoir si bien vu ni si bien compris ce qui se passait sur l'écran : comme le souvenir d'une soucoupe volante le ferait avec votre mémoire.

D'abord les couleurs sont très spéciales.

C'est un gris bleu avec des éclats d'orange, ce qui lui donne parfois de la douceur et parfois une note fanée. Comme la copie est excellente et l'image est d'une netteté absolue, on est sûr qu'elle n'est pas ternie par le temps. On apprend alors que ce serait dû au procédé Trucolor, plus rare que le Technicolor. Il est habituellement flamboyant et très saturé en couleurs : on se rappelle bien ainsi du "Johnny Guitar" de Nicholas Ray. Mais voilà qu'ici pour des raisons d'économie on l'a limité à deux pistes (deux cameras au lieu de trois) et on a éliminé le jaune, une des couleurs primaires essentielles.

Mais c'est surtout le contenu qui est stupéfiant.

Le propos de ce "feu de l'enfer" (hellfire) est rédempteur au sens le plus chrétien du terme, de manière explicite et assénée : dès le début, il est "annoncé" par un prêtre à un joueur de poker tricheur. Il lui confie une bible, laquelle devient l'objet de référence et de transmission entre les personnages tout au long du film. En quelque sorte, elle a le rôle du fusil dans le Winchester 73 de Anthony Mann. L'apothéose finale est cette bible montrée en gros plan à la place du baiser attendu entre le héros et l'héroïne.

Pourtant il y a quand même une jolie histoire d' amour. 

Elle survient entre le tricheur converti (joué par William Elliott, un acteur ici en fin de carrière après avoir été un heros de western dans les annees 30) qui veut bâtir une église comme il l'a promis au prêtre (parce que celui-ci a prit une balle à sa place), et une gunslinger émérite, une heroïne atypique de western, jouée par une attachante Mary Windsor.

Elle agit du début à la fin comme une avant-gardiste feministe capable de flinguer dans l'apres-coup un abuseur. Son discours, bien que déclamé en 1949,  semble extrait d'un tweet de "Me too".

Elle est de plus capable de se prémunir avec arrogance et dextérité de la vengeance des malfrats, des frères ou des amis de sa victime, en refusant même avec hauteur la protection de l'escroc prêcheur et amoureux d'elle.

Et tout cela, c'est pour aller au bout de son difficile projet personnel et éthique : un périple sans fin pour retrouver sa petite soeur qu'elle pense être exploitée par des hommes dans une ville sauvage de la frontière. 

Ajoutons qu'il y a aussi une amitié entre l'ex tricheur amoureux qui vacille devant la rédemption - appliquant la loi une bible à la main, mais l'aménageant pour sa belle outlaw dont la tête est mise à prix - et le shérif qui poursuit la belle.

Le sherif est joué par un Forrest Tucker aussi sympathique que Marie Windsor est magnifique. Cavalière émérite, elle a fait toutes ses cascades et elle joue Doll Brown la flingueuse aux deux revolvers avec une vraie passion.

Si la thématique évangéliste d'arrière-fond est plombante, au point qu'on se demande souvent si c'est du second degré, les personnages sont évolutifs, leurs interactions pleines de verve et les dialogues bien écrits, avec beaucoup d'humour.

On comprend que l'acteur et l'actrice aient gardé le souvenir de ce film comme un de leurs meilleurs dans des filmographies pourtant très abondantes.

(Note de 2020 publiée en nov. 2024).

Michael-Faure
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le 20 nov. 2024

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