Hello Dayoung
6.6
Hello Dayoung

Film de Ko Bong-Soo (2018)

Un film assez étonnant, car s'il ne dure qu'1h02 il défile à une cadence qui pourrait lui valoir un minutage plus classique. Tout cela parce que le réalisateur (Ko Boong-soo) a décidé de filmer à la manière des films de Charlie Chaplin, faisant de Hello Dayoung une sorte d'hommage moderne au burlesque. Alors son film est en noir et blanc (magnifique), muet avec une bande son. Et surtout, l'image défile en accéléré.
 
Petite parenthèse pour rappeler que les films ne défilent pas tout à fait à la même cadence au cinéma et à la télévision, ce qu'on peut vérifier en consultant les minutages annoncés pour un même titre. 24 images/seconde au cinéma contre 25 à la TV. Une manière comme une autre de raccourcir les films pour en passer davantage ? A noter également que les films de l'époque des débuts défilent toujours à une cadence accélérée. La raison en est qu'à l'époque, le cameraman filmait au rythme qu'il pouvait, en actionnant une manivelle. Or, pour rendre correctement le mouvement à l’œil humain, il faut environ 25 images/seconde.
 
Bref, d’un impératif technique désuet, Ko Boong-soo fait ici un choix qui donne un effet très particulier. C'est une source de gags (exemple avec la femme qui se poste devant une porte et fait de grands gestes avec les bras : de vive elle devient hystérique !) qui rappellent beaucoup le burlesque de l’époque du muet, mais pas seulement. Fait notable, on s'habitue à cette cadence. Le réalisateur réussit à faire ressentir qu'on s'habitue à tout, y compris à des cadences de plus en plus infernales. Ici, on s'en rend compte lorsque, habitué à cette cadence, un détail vient nous rappeler qu'elle est anormalement élevée. Le sous-entendu, c'est que nos vies se déroulent à des cadences de plus en plus élevées (en particulier dans le monde du travail) qui posent question : jusqu’où ira-t-on ? On peut le supporter pendant la bonne heure que dure ce film, parce qu'il enchaîne des situations qui étonnent, surprennent, amusent, etc. Pour accentuer ce phénomène, le réalisateur choisit comme accompagnement musical les danses hongroises de Brahms, en particulier la très célèbre n°5. Déjà enlevé, le tempo habituel est accentué, parfois jusqu'à l’écœurement. Une musique naturellement entraînante qui devient insupportable, à l’image des situations qu’elle illustre.
 
L'action est centrée sur Minjae (Shin Min-Jae) à la bouille bien ronde, peu loquace et certainement timide (il se cache volontiers sous son casque de motard). Un livreur à qui on confie un ou plusieurs paquets. Le film joue sur le fait que Minjae va souvent aux mêmes endroits (on en remarque deux). Après une introduction et quelques gags, on réalise que Minjae s'intéresse à Dayoung, jeune femme qui travaille dans un bureau. Le réalisateur montre alors que son ambition va au-delà du simple hommage au burlesque de l'époque du cinéma muet. Il met cet hommage au service de la dénonciation d'un système qui prend de l'ampleur. Le scénario situe l'histoire en Corée, mais tout cela pourrait se passer un peu partout dans le monde occidental. Symbolique de notre époque, le travail en open-space met les employés de bureau dans des situations très pénibles. Ici, dans espace restreint six personnes se côtoient, dont deux femmes placées l'une en face de l'autre. Les quatre hommes forment une sorte de groupe qui cherche un semblant de cohésion. Tous semblent en admiration devant l'une des femmes, jeune et séduisante. Pourtant, celle-ci ne travaille guère, pensant avant tout à se faire les ongles et se regarder dans son miroir. Elle ne s'en cache jamais, car elle sait que son CDI ne sera jamais remis en question.


Son CDI ne sera jamais remis en question parce que celui qui dirige le personnel de ce bureau n'est autre que son père.


Ce que le film montre plutôt bien, ce sont les caractères des personnages, la coquette paresseuse, l'employée déférente qui se retrouve tête-de-turc de tous les autres. Enfin, parmi les quatre hommes, on sent qu'il y a le meneur et que tous cherchent à s'attirer les bonnes grâces de la coquette. Des tentatives de séduction plutôt lourdes auxquelles la jeune femme se prête en profitant de la situation. Bien évidemment, tout finit par retomber sur Dayoung que Minjae tente de protéger tant bien que mal. On comprend donc que s’il favorise l’esprit de compétition, le travail en open-space peut rapidement délivrer ses effets pervers, avec des rivalités qui n'ont rien à voir avec le travail proprement dit, ce travail pouvant évidemment passer au second plan. Ce qu'on gagne en espace occupé et en mise en concurrence est vite perdu en exacerbation des rivalités.
 
En faisant le choix de se contenter de quelques bruitages (absence totale de dialogues), le réalisateur démontre une nouvelle fois que le cinéma est avant tout l'art du mouvement et de la mise en scène. S'il s'en sort bien globalement, quelques situations restent néanmoins peu compréhensibles. Au chapitre des regrets, on peut ajouter que ce qu'il montre de la Corée défile tellement vite qu'on n'en profite pas vraiment.
 
Par contre, tous les effets qu'il cherche trouvent leur cible, l'accéléré pour dénoncer les travers des sociétés modernes, le monde du travail miné par la bureaucratie et le le souci irréfléchi de rentabilité, ainsi que son hommage à un cinéma d'une autre époque.


Vu au 13ème Festival du Film Coréen à Paris, le 31 octobre 2018.

Electron
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le 16 nov. 2018

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