C'est peut-être moi qui me fais des films, mais j'ai le sentiment étrange que le jeu de Joaquin Phoenix a évolué depuis son projet casse-gueule "I'm still here". Comme si derrière la farce pas drôle et narcissique, le comédien avait l'air de rien purgé quelque chose. Toujours est-il qu'il est absolument prodigieux dans le dernier Spike Jonze, touchant comme c'est pas permis en hipster amoureux... d'un programme informatique.
Le plus incroyable dans "Her", peut-être le plus fou, c'est que cela fonctionne. Par je ne sais quelle magie, quelle science, Spike Jonze parvient à rendre crédible, à rendre émouvante l'histoire d'un mec entretenant une liaison avec une simulation d'être humain. Couronné entre autre par l'Oscar (mérité) du meilleur scénario, "Her" réussi sur chacun de ses tableaux, se révèle pertinent sur chaque thème abordé.
Loin d'être un simple gadget pour faire mouiller les jurés d'un festival indépendant, le point de départ farfelu de "Her" sert dans un premier temps à apporter un petit vent de fraîcheur à un cinéma d'anticipation qui en avait bien besoin, mais surtout à développer de nombreux thèmes forts et passionnants, en relation directe avec notre époque.
Dans un premier temps, "Her" se pose comme une étude sociologique de nos comportements, de notre société, décrivant un monde très peu éloigné du nôtre où l'être humain perd petit à petit toute notion de rapports humains, où l'on se cache derrière nos écrans et autres oreillettes pour communiquer, où l'on cherche le partenaire idéal tout en le rejetant à la moindre petite contrariété. Avec l'apport des nouvelles technologies, l'homme et la femme n'ont jamais été aussi proches l'un de l'autre... tout en étant paradoxalement éloignés comme jamais.
C'est dans ce contexte que va naître une histoire d'amour incroyable, d'une poésie rare, allant au-delà de toute limite physique, entre le personnage de Joaquin Phoenix et un programme d'une humanité sidérante ayant la voix sensuelle de Scarlett Johansson. Le metteur en scène orchestre à cet instant une fable romantique à nul autre pareil, aussi insensée qu'attachante, rendue possible par le talent de la comédienne qui parvient à faire preuve d'une présence saisissante alors qu'elle n'apparait pas une seule fois à l'écran.
Une vision intelligente des rapports amoureux et de la vie de couple, qui laisse petit à petit la place à quelque chose de plus inconfortable, à une réflexion métaphysique sur l'avenir de l'humanité, le cinéaste se posant la question de notre prochaine évolution, de la limite de la technologie, voir carrément de son absence. Et si finalement la relation entre l'homme et la machine n'était qu'éphémère, n'existait dans le seul but que chacun (l'être fait de chair comme l'être fait de circuits) prenne son envol, se libère définitivement des entraves de l'autre afin d'évoluer chacun de son côté. Comme dans une relation trop envahissante, tiens.
Fable pop et d'une épure frôlant le sublime, "Her" pourra laisser de marbre certains spectateurs, pourra même gêner, mais demeure une réflexion intelligente et originale sur l'être humain, une petite merveille à la fois drôle, amère et parfois même terrifiante, qui fait du bien au cinéma.