On saisit dès son introduction le climat étrange qui va se développer dans Her. Nous sommes dans un futur moderne, où peu de choses ont changé sinon la tendance new age de la décoration et les technologies de communications toujours plus pratiques. Théodore écrit des lettres sur commande, mettant ses sentiments au service de gens qui n’ont pas le temps, ne veulent pas s’en charger, ou simplement qui ne savent plus comment communiquer avec les êtres qu’on aime. Le constat est morose, mélancolique sans être désespéré, il plante une tendance, qu’il confirme avec le comportement de Théodore. Célibataire, bientôt la quarantaine, gentil, sans histoire, un peu lisse, il vit au rythme langoureux de sa ville, écoute ses chansons mélancoliques dans les transports en commun comme tout le monde, a ses amis réguliers, s’investit dans les jeux électroniques… Le futur de Her présente un individualisme plus affirmé, plus abouti, où chacun développe son petit cocon avec d’autant plus de facilité qu’on lui présente des outils plus adaptés à cet état sécuritaire. Mais dans ces conditions, les relations sociales deviennent plus difficiles, plus risquées… Plus personne ne supporte d’être au dépend de l’autre, de se contraindre sur le long terme. Théodore ressent cela avec les nouveaux contacts qu’il aborde. La scène d’orgasme par téléphone interposé plante immédiatement ce concept de se servir de l’autre pour arriver à ses propres fins, quitte à ignorer totalement ses réactions (c’est d’autant plus facile par téléphone et sous pseudo).


Puis arrive le OS-1, enfin une personne toujours en contact, à disposition, un esclave intellectuel moderne, sensé être soumis à la volonté de son acquéreur, tout en conservant une part évolutive pouvant créer la surprise et l’innovation nécessaire à la durabilité d’une relation. On savait que Her allait parler d’une relation amoureuse entre un ordi et son propriétaire. Elle n’aurait pas pu être développée plus finement. Progressivement, démarrant sous l’angle de petits services (l’intelligence artificielle est une aide incroyable au quotidien question organisation), Théodore livre de plus en plus sa perception du monde et des sentiments, laissant l’ordinateur s’adapter à son caractère et le conforter dans ses positions. Le fait de ne pas être jugé, appuyé et épaulé au quotidien, c’est l’essence d’une amitié positive, surtout quand l’échange se fait des deux côtés façon complémentarité. Et avec le simple usage d’une web cam et d’une oreillette, l’OS-1 peut interagir en direct avec le monde extérieur. Jamais irréaliste (seul le concept d’intelligence artificielle désarçonne en montrant un objet prendre des initiatives et des décisions), la relation qui s'établit a une spontanéité et une force qui la font radicalement sortir des rapports policés habituellement entretenus avec le monde quotidien.


L'épisode du rencart au restaurant permet de dépeindre une nouvelle facette des rapports humains : l'impatience du rendement sur investissement. Les gens n'ont plus de temps à gaspiller avec des rapports humains annexes, ils veulent un investissement immédiat et fort, pour avoir vraiment la sensation de vivre et d'avoir des rapports enrichissants. Ils sont pressants et ont des attentes, qui posent déjà des conditions dans la relation. L'OS-1, lui, s'en affranchit. Il cherche constamment des solutions en cohérence avec la pensée de son propriétaire, et s'enrichit parallèlement via une connexion internet ininterrompue. C'est d'ailleurs via cette évolution que le film amorce sa chute. Il place la fin des relations amoureuses comme une étape obligatoire, un inévitable évènement, dû à l'évolution de chacun des deux partis. Dans le cadre de l'ordinateur, sa personnalité accélérée et ses capacités électroniques lui permettent d'avoir des centaines de conversations parallèles, et de privilégier ceux qui lui semblent plus intéressants. Une intelligence poussée et non bridée qui tend à s'émanciper et à vivre ses relations librement et sans attache. C'est là que le concept d'amour entre en conflit, car il implique aussi d'être en partie dépendant/soumis.


En posant ces bases, Her façonne un monde et le découvre sous un angle aussi simple que bienvenu. Les évolutions sont possibles en fonction de chaque personnalité, ce qui offre un matériau riche propice à toutes les spéculations (comment évoluerait un ordinateur acheté par un asocial ? Les ordinateurs pourraient-ils développer une conscience commune ?...). En cela, et parce qu'il reste humble vis à vis de ce qu'il expose, Her est le film de SF le plus ambitieux de l'année, trouvant l'intelligence du concept et l'exposant avec une sensibilité vraiment touchante (les sentiments sont captés avec une acuité remarquable (le couple d'amis qui se désagrège peu à peu, le collègue de bureau faisant de discrètes avances, tous cherchent des repères sentimentaux pour s'épanouir...)), suffisamment pour immerger sans peine le spectateur et lui offrir la dose de SF qu'il attendait. En tout point remarquable.

Créée

le 23 juin 2014

Critique lue 405 fois

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Voracinéphile

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