Amour impossible mais probable
On connaît les ambitions de Spike Jonze. On connait également son côté déjanté et son goût pour le risque. Au delà de ses nombreux clips musicaux, le réalisateur américain est notamment connu pour ses travaux pour le moins atypiques tels que Dans la peau de John Malkovich, Adaptation ou encore Max et les Maximonstres. Parfois adulé, parfois décrié, il aura au moins réussi une chose : marquer les esprits grâce à sa faculté de mettre en scène son inventivité si particulière. De par son sujet, son contexte et ses valeurs, Her s'inscrit donc en toute logique dans une certaine continuité, parmi ses précédentes réalisations.
Un homme rongé par sa récente rupture, tombe soudainement amoureux de son ordinateur doté d'une intelligence artificielle hors normes, lui procurant une conscience. En développant minutieusement chaque thème abordé au cours du film, il y a largement matière à livrer quelque chose de nouveau, d'abouti. Les contextes du futur proche et de l'évolution informatique ouvrent nombre de portes, un paquet de boulevards à exploiter pour en tirer ce qu'il y a de mieux et d'original. En clair, les habituelles et débordantes ambitions de Spike Jonze peuvent s'exprimer abondamment comme une pipelette peut s'exprimer face à des muets résignés. Pour ma part, une vague sensation d'inachevé s'est manifestée à mesure que le temps passait. Jonze semble davantage évoquer que développer. Non pas que le travail est bâclé ou les thèmes négligemment abordés. Même s'il s'agit en partie d'un film de science-fiction, on voit bien que là n'est pas la priorité du réalisateur.
S'il excelle dans un autre domaine pour ce film, c'est bien celui de la socialisation, de la relation amoureuse et des différentes émotions qui en découlent. Et le contexte général ne sert que d'outil pour développer et matérialiser son savoir-faire. Car émotionnellement, Her tient en haleine et ravit le spectateur par ses scènes d'un lyrisme surabondant et déroutant, porté par un Joaquin Phoenix épatant. Son personnage rêveur et sincère suscite une véritable empathie de la part du spectateur, virant même jusqu'au transfert émotionnel bouleversant. Il est le pilier même de cette merveilleuse narration, elle-même métaphore abattue de la solitude du futur. D'ailleurs, rien que l'idée d'être seul(e) au milieu de tous fait froid dans le dos.
Même si la question de l'amour envers quelqu'un, ou quelque chose, écrase tout autre thème abordé, Spike Jonze relève son défi avec brio et propose une vision d'un amour du futur emplie de complexité et de frustration mais également débordante de poésie et de sincérité. Malgré l'aspect conventionnel qui ressort discrètement de cette histoire d'amour, le réalisateur a inventé un monde auquel le spectateur se perd entre utopie et dystopie, ne laissant place qu'aux émotions transcendantes, ce qui lui justifie cette singularité si confirmée. Une fois de plus, aimer ou ne pas aimer n'est pas la question. Spike Jonze aura de nouveau réussi une chose : marquer les esprits. Si ce n'est pas ça être artiste...