L’histoire d’amour, centrale et virtuelle, entre un homme émotionnellement perdu et un système d’exploitation ultra sophistiqué constitue le cœur du récit, et ne pas s’y montrer sensible pourrait gâcher l’ensemble de l’expérience du dernier film de Spike Jonze. Pourtant, c’est autant par ses thèmes périphériques et ses partis-pris esthétiques que par sa romance centrale que le film se montre finalement attachant.
Ultra moderne solitude
L’amour (son besoin, sa recherche, son impossibilité) n’est en creux que la façon la plus aboutie et définitive de lutter contre la solitude. La vraie, l’implacable, celle dont nous sommes tous victimes, depuis toujours et pour toujours, et contre laquelle il n’existe aucun remède, uniquement des placebos. Je ne parle pas de celle voyante, qui mord l’existence des plus démunis ou des victimes de l’existence. Ni celle, voulue, par les plus ours d’entre nous. Je parle de la solitude qui accompagne chacune de nos intimités, le nombre de proches dont on s’entoure (famille, amis) ne constituant qu’un plus ou moins grossier subterfuge.
Être intimement proche de quelqu’un n’a jamais été de partager un ou deux secrets de la vie privée ou communiquer à longueur de journée. Cela consiste à exposer ses incompréhensions profondes vis-à-vis du monde qui nous entoure, avouer ses pulsions noires et malsaines, révéler ses moteurs véritables, ses failles profondes, son être essentiel (ce qui signifie que l’on arrive au préalable à se voir tel qu’on est et non tel qu’on voudrait être), et c’est pourquoi ce genre de réelle connexion est si rare, ou ne peut se développer que dans certaines conditions particulières.
Foule sentimentale
Dans ce contexte, s’attacher à un logiciel, seul capable de comprendre, exploiter et écouter quelqu’un, parce qu’il a été (très intelligemment) conçu pour ça, disponible à toute heure du jour et de la nuit, se révèle un rouage puissant du film. Le fait qu’un OS puisse satisfaire mieux que tout être humain la plénitude d’une relation est un terrassant constat, d’un pessimisme dur, qui se double même quand le logiciel réalise à son tour que cette seule relation ne peut plus suffire à alimenter son exponentielle besoin de savoir et apprendre, renvoyant les être humains à leur terribles conditions imparfaites, vouées aux erreurs et au manque.
Le film est en ce sens réussi dans ce contraste entre un univers aux teintes chaleureuses et rassurantes, presque douillettes, et la description d’un futur proche où nous serions de plus en plus seuls au milieu des autres.
Car c’est bien là l’autre aspect de l’œuvre de Jonze qui fonctionne: l’univers élégamment mis en scène par le réalisateur est cohérent, fonctionnel, et terriblement plausible. La très agréable photo souligne des architectures et des éléments d’urbanisme intelligents, un cadrage tout en velours accompagne en douceur les sinuosités douces d’un récit dont l’amertume n’est jamais complètement absente.
La vie Théodore
Théodore, agréablement interprété par un Joaquin Phoenix qui occupe 80% du métrage en monologue et en gros plan (quel rôle rêvé pour un acteur mégalomane !) n’est pourtant pas parvenu à remuer mon vieux cœur rendu sans doute insensible par les années qui rabougrissent les conduits à émotion, et lorsque la rupture inévitable survient, c’est avec une douce indifférence que j’ai attendu le générique de fin.
Impossible de communier avec une douleur un peu trop fabriquée, née de la rupture entre une intelligence trop artificielle et un neurasthénique sentimental un peu trop plaintif, vouant leur romance à un échec patent.
L’occasion ne pouvait être que ratée.
Son her est passé.