Une magnifique histoire d'amour. Entre un homme et une voix. Le film se déroule dans un futur proche, où l'on se projette sans difficultés, où la technologie a suivi son développement logique et nous entraîne dans son monde. Dans ce monde, derrière un écran, par la voix, on se transforme en écrivain public 2.0 et on écrit des lettres de la vie de tous les gens du monde. La virtualité de l'amour dans ce monde est posée d'emblée, même si, dès le début, il faut un peu de temps pour clarifier la situation. Mais cela passe vite et le spectateur est embarqué avec une infinie tendresse dans cet art de l'épure. Les architectures sont carrées sans être fades, les espaces sont lumineux sans être aveuglants, le futur est peuplé par la technologie dont on ne peut se passer, sans qu'elle ne soit dangereuse.

Dans ce monde l'amour existe. Comme depuis toujours, il naît, il vit, il rit, il fait des enfants, il meurt, il s'éteint. Les images furtives où Théodore nous est présenté avec sa première page ne peuvent qu'évoquer la claque dans la gueule qu'est la mythique scène de cinq minutes dans Là-haut. Seulement par les images, tout nous est montré, tout nous est renvoyé à la gueule avec une efficacité d'une rare précision. Tout dans Her est d'une clarté qui parle à tout le monde. Tout est radical : on ne s'épanche pas en mots, on ne se perd pas dans des commentaires, les images qui apparaissent se suffisent à elles-mêmes, et chacun des mots est pesé pour sonner dans le cœur comme un coup de poignard. Quand on voit, on voit. Quand on parle, on parle. Tout ce qui vient s'ajouter est la musique, magnifique piano mélancolique, qui, presque toujours, est heureusement diégétique.

En somme, tout fait partie de la relation entre Théodore et Samantha, entre Joaquin Phoenix et Scarlett Johanssonn. La déesse " désincarne " à merveille l'intelligence artificielle, qui n'existe et ne tombe amoureuse que par la voix. D'une douceur et d'une sensuelle tendresse à couper le souffle, elle rend tout réel ; on arrive à sentir le désir, à lui faire sentir son corps, à lui faire l'amour, dans une scène, sûrement l'apogée du film, qui montre l'acte sexuel uniquement par un écran noir et par les mots. Jusqu'où peut-on aller dans l'abstraction ? Qui n'a jamais rêvé de retomber amoureux ? Le film illustre ce fantasme perdu de la relation qui naît et qui se promet de durer, surtout dans une société âgée de quelques années où baiser à douze ans deviendra la doxa et où une femme se jette comme un vieux mégot après l'avoir porté à ses lèvres qui tremblent. Si bien que cette relation qui naît passe littéralement pour un premier amour ; on fait connaissance un soir devant la lumière chaude de l'écran de son ordinateur, on dort ensemble par la voix et la caméra pour la première fois, on ferme les yeux et on se guide pendant des minutes et des minutes dans une fête foraine, on ne se retrouve plus, on disparaît, on a peur de se perdre et on se perd pourtant.

Her, c'est l'amour le plus absolu, mais il est si intense qu'il ne peut durer toute une vie. Dans une soif d'accomplissement et de vie à laquelle ne peut accéder la conscience (comme elle est présentée au début, bien plus qu'une " intelligence artificielle "), l'amour ressent le besoin de s'incarner. Le plan pour trouver un corps avec la fille, Isabelle, ne portera pas ses fruits et, à partir de ce changement de support, la disparition de l'amour est programmée. Un amour doit rester violent, cruel, radical, et donc absolu : soit il passe de suite par la réalité des corps et y reste toujours, soit il ne reste qu'un réceptacle d'émotions incarné seulement par une voix. Soit on reste à distance, soit on vit toujours ensemble. Soit on fait tout ensemble, soit on préserve la rareté qui est nécessaire à l'amour et qui, aujourd'hui, disparaît.

Aussi, ce qui est dommage dans le film, c'est le cul. Le début du film est lent, et nous présente plusieurs petites relations qui sont autant de moyens pour ne pas vivre seul, aussi désespérément que le chantait Dalida. Ce n'est pas vraiment du cul, mais les chatrooms et les plans weird sont banalisés, au point de dégoûter le héros qui les vit et est prêt à tout, même à étrangler sa partenaire avec l'imaginaire chat mort qui est sous le lit (ça va rester, ça). Ces petites scènes du début rabaissent la suite du film, car la relation virtuelle avec Samantha est alors mise sur le même plan que ces petits plans culs. Ça contribue à la banaliser, alors que la précision de la mise en scène en fait pourtant une relation extraordinaire, au sens le plus littéral du terme. Elle est hors du monde, elle est unique, elle est un amour rare et ce qui est rare est cher.

La fin fait du film la chronique d'une mort annoncée ; l'amour a été bref, mais qu'importe, le temps qu'il a vécu il a vécu heureux. Empreint d'une poésie et d'un art de l'épure admirable, Her donne envie de faire quelque chose de simple, même petit, même caché, quelque chose de vrai et de profond, simplement. Il fait monter les larmes et donne envie de vivre. Il renvoie à notre gueule à quel point on est seul. Il nous fait nous rendre compte que la relation de Théodore et Samantha ne vaut pas plus que les milliers de belles lettres manuscrites qu'il a écrites et qui appartiennent maintenant au monde. Tout en nous enveloppant dans le confort d'être simples spectateurs d'une œuvre d'art si belle, Her nous fait ressortir en sachant que les plus belles histoires d'amour, ce sont les nôtres.
Ashen
9
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le 30 mars 2014

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Ashen

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