Oui, certains arrivent encore à faire de bons films d'horreur

Le cinéma d'horreur américain actuel, noyé dans un flot de purges impersonnelles, n'est pas réellement vendeur, et à juste raison. Pourtant, il serait bien malheureux de tirer un trait sur l'entièreté de ce monde car quelques figures émérites ont bien l'ambition de redonner de la qualité à un genre malmené par moult tâcherons. C'est un peu l'allégorie du coquelicot poussant sur un tas de fumier. On peut compter sur Jordan Peele, Robert Eggers et Ari Aster qui se sont fait remarquer pour leur approche de l'horreur dans l'esprit de jadis, qui est forcément de qualité supérieure à celle de nos jours (instant réac' pleinement justifié). Tout comme eux, Aster est l'artisan de l'horreur avec un grand H. Celle qui ne se repose pas sur des artifices bateaux. Celle qui n'est pas engoncée dans l'idéologie vaine de l'industrie du screamer. Celle qui a compris que l'atmosphère est le protagoniste principal pour instaurer une sensation de malaise.


Etant de l'école de ceux qui ont découvert le travail du réalisateur avec l'excellent "Midsommar", je plaçais de grosses attentes en "Hérédité" et son synopsis reflétant finalement peu le déroulement de l'histoire. D'ailleurs, c'est peut-être l'un des rares points négatifs qui est cette absence de liens tangibles entre le destin de la famille et la mort d'une mère qui n'était pas très appréciée de sa fille. Au final, le décès apparaît plus comme un événement accessoire que le détonateur d'une situation inextricable et morbide qui frapperont leur quotidien. Ce bourbier de démence qui prendra sa source dans la mort aussi brutale qu'inattendue de Charlie que le réalisateur filmera de manière frontale. Ainsi, le maléfice en est jeté et hantera petit à petit chaque membre de la famille, à commencer par la mère.


Il y a en "Hérédité" pas seulement une allégeance à l'horreur noble mais aussi au drame existentiel. Comment faire face à la mort de son enfant ? Comment résister à la douleur de perdre la chair de sa chair ? Comment aller de l'avant ? Faut-il conserver ses souvenirs au risque de remuer éternellement le couteau dans la plaie ? Ari Aster jongle habilement entre ces deux genres, intellectualisant le film d'esprit souvent très limité dans ses intentions qui ne se résument qu'à effrayer (ou tout du moins essayer péniblement) l'assemblée par ses apparitions spectrales tenant du screamer. Pour Aster, ce disque rayé n'a pas lieu d'être. Il préfère déployer pleinement son objectif sur la terreur sans chercher à faire sursauter. Celle-ci peut d'abord commencer par une menace auditive, à savoir le tic du bruit de bouche de Charlie quand elle était encore vivante. Au regard du piètre spectacle de l'horreur hollywoodienne qui ne parvient jamais à faire tenir la tension sur les scènes cauchemardesques vaporeuses, ici elles sont longues, filmant sous toutes les coutures le malaise visuel.


"Hérédité" impressionne par la démesure de son spectacle infernal dont l'efficacité dans la manière de calmer son audimat dépasse largement les ficelles rébarbatives de l'énième reboot, remake ou suite pondu par l'artisan de navets. Petit à petit, le récit avance sans que nous ne parvenions à anticiper son cheminement. Les fantômes, le spiritisme et le toucher à Pandemonium, la capitale des enfers, envahissent toujours plus nos personnages à la santé mentale chancelante. Le réalisateur prend son temps, ce qui explique la durée inhabituelle de près de 2h10 sans pour autant verser dans le soporifique. Enfin un an avant Midsommar, il avait déjà assimilé l'idée de la mise en scène soignée, trop souvent relégué aux latrines. Tout a été méticuleusement travaillé (plans larges, éclairages, décors, travellings, bande son jamais envahissante). Tout est propre.


"Hérédité" est l'un des trop rares représentants d'un cinéma horrifique encore vivace et exigeant. Dans l'esprit des belles années 60 et 70 où l'accent était mis sur l'atmosphère torturée, ce film nous place dans une position d'inconfort tout en saluant un remarquable travail que peu d'artistes savent encore faire. Il est dommage que la storyline soit parfois difficile à saisir dans ses enjeux, sans quoi, nous aurions goûté un an avant à la même puissance de frappe que Midsommar.

MisterLynch
7
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le 7 juil. 2022

Critique lue 10 fois

MisterLynch

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