Sorti dans un relatif anonymat en France malgré la présence du bankable Tom Hiddleston, le film du toujours surprenant Ben Weathley déroute.
1975, trois immenses bâtiments émergent d’une étendue désertique. Des grues pullulent çà et là autour des monolithes confirmant la toute fraîcheur des édifices et la colonisation prochaine de la plaine par d’autres mastodontes de béton. Leur forme inclinée confère une étrange impression d’instabilité à ces architectures à la fois stables et vacillantes. L’un de ces immeubles sera le théâtre des affres d’une micro-société verticale, dépeinte dans le roman éponyme du grand J.G. Ballard dont le film est l’adaptation.
On l’attend la critique acerbe d’une société dépendante au progrès et en proie au capitalisme le plus impitoyable, c’est prévisible, presque trop. Des buildings de New York à Le Corbusier et sa Cité radieuse, les évocations sautent aux yeux… Metropolis, Brazil, Alphaville, Blade Runner… sont autant de récits dystopiques de SF sur la lutte des classes ultra-présents dans l’imaginaire cinématographique. L’écueil de la redite et du déjà-vu semble inéluctable. Pourtant Ben Weathley ne va pas céder à la simple tentation d’articuler des rapports manichéens entre les différentes strates sociales représentées par les niveaux de cette tour infernale.
Les choix de mise en scène sont toujours surprenant. Le brouillage de la temporalité est l’une des plus habiles manœuvres du cinéaste. Les décors des années 70 côtoient ainsi volontiers une esthétique publicitaire des années 2000, des véhicules des années 60, des costumes du XVIIème siècle jusqu’à cette atmosphère presque martienne évoquée par les étendues rouges et arides qui isolent les résidents. Le manichéisme est absent de cette oeuvre sombre et lumineuse, le personnage du Dr Laing interprété par Hiddleston est presque inaccessible au spectateur. Il a tout du héros, son regard neuf sur l’implosion imminente de cette société recluse lui donne la possibilité d’être le salut, la solution à cette fatale descente aux enfers. L’évolution psychologique du personnage est pourtant inattendue, paradoxale, parfois frustrante pour un spectateur qui se refuse à le voir lui aussi sombrer dans la folie.
La réflexion à l’oeuvre dans le film de Weathley n’est en définitive pas si éloignée de celle de ses précédents métrages. A travers un personnage rationnel dont l’ambiguïté croît progressivement aux yeux des spectateurs, le cinéaste décortique le processus d’aliénation de la raison: sensiblement le même qui pousse les protagonistes de Touristes et Kill List jusqu’au bout de l’enfer.