Voilà enfin, après quelques semaines d’une plate exploitation, un film qui divise, qui fait s’exprimer les spectateurs. A la sortie des salles, des groupes s’indignent, des sensibles se pâment, des curieux s’interrogent, des conquis savourent… bref une oeuvre singulière qui ne laisse pas indifférent. La promo du film était nébuleuse. Promettant un huis clos domestique anxiogène porté par des stars abonnées au box office, Jennifer -Hunger games- Lawrence et Javier Bardem nouveau visage du mal dans les blockbusters familiaux, la bande annonce laissait flous la plupart des enjeux. Qu’en est-il du dernier métrage du réalisateur de Requiem for a dream ?
Disons-le tout de suite Mother! est un film radical, sans concessions. L’entrée dans la maison est abrupte, dès le premier plan. Le mélange de frustration, de violence tacite (puis explicite) et de vertige nous prend de plus en plus fort à chaque minute, sans répit, jusqu’à un final dantesque. La caméra de Matthew Libatique, déjà chef op’ de Black Swan, où son travail est sensiblement lié à celui sur Mother!, s’accroche à Jennifer Lawrence pour ne presque jamais la lâcher. Ce cordon invisible (oserais-je dire ombilical) entre le spectateur et le personnage de J-Law est à la fois source d’immersion totale et de gène provoquée par la fermeture du cadre, bouché la plupart du temps par le visage et le corps de l’actrice, insinuant aussi cette perte de repères spatiaux dessinant une architecture incertaine de la maison.
Ce dispositif est le théâtre d’une première partie très codifiée, récit d’intrusion plutôt classique qu’on aura déjà pu éprouver dans Rosemary’s Baby, Harry un ami qui vous veut du bien, History of violence, où Ed Harris s’incrustait déjà dans la vie d’un ménage sans histoires… Le couple Lawrence-Bardem, reçoit ainsi l’intempestive visite des sans-gènes et inquiétants Harris-Pfeiffer. Les personnages ne sont jamais nommés, figures anonymes d’une oeuvre qui tend à l’universalité.
Dans sa seconde partie, l’histoire prend une tournure moins intimiste, pour devenir une certaine réflexion sur la création, où le Bardem poète serait le miroir inversé d’une Lawrence mère-nature. L’homme qui se prend pour dieu, face à la nature créatrice, au sens biologique, la mère, comme métaphorique, la source d’inspiration, le monde. La symbolique est très appuyée, Lawrence est explicitement à la fois la mère d’un enfant, et l’environnement lui même, la maison. Le corps étranger que représente l’enfant dans le ventre de la génitrice, répond au corps étranger que sont les intrus dans la demeure. Elle se confond avec les murs, touche les surfaces, ressent les douleurs de la maison meurtrie (l’évier qui lui explose au visage dans une giclée d’eau est plutôt digne des giclées de sang du cinéma gore). Quand la mère souffre la maison saigne, évoquant parfois même jusqu’à l’organicité du cinéma de Cronenberg, et la sexualisation des objets, lorsque Lawrence introduit ses doigts dans l’orifice sanglant du parquet de la chambre.
Cette articulation systématique de symboles et éléments métaphoriques font de Mother! un film un peu froid, un peu artificiel. On pourrait même reprocher à Aronofsky de se regarder, de faire son autocritique à travers le personnage de Bardem (Aronofsky n’est d’ailleurs autre que le compagnon de Lawrence…). S’il manque effectivement de poésie et d’ouverture, Mother! n’en reste pas moins un sacré tour de force technique et un grand huit haletant porté par des acteurs inspirés.