Vienne quelques années après l'armistice ayant mis fin à la première guerre mondiale, une poignée de militaires rentre au pays aux termes de leurs incarcérations comme prisonniers de guerre. Bien vite ils doivent faire face d'une part à un retour à une réalité dans laquelle les idéaux qui les ont précipités au front de cette tuerie indescriptible que fût ce conflit ont vécus et ne constituent désormais plus que le terreau fangeux d'une vision réactionnaire, qui ne dit pas encore son nom et d'autre part se mesurer à un tueur d'une rare cruauté dont le dessein apparait vite comme étant l'élimination des membres de ce groupe d'anciens combattants de retour long après la fin effective des combats.


De là le film ne cessera d'explorer en parallèle ces deux postulats, le premier questionnera l'absurdité de ces idées caduques et arriérées qui ont plongé le monde dans le chaos et été le lit sacrificiel d'une génération entière. Un sujet qui constitue presque un passage obligé du film traitant de la guerre, l'imbécillité des causes menant l'humanité à prendre les armes dans une optique finalement très ethnocentrée voire biblique du bien face au mal, sans jamais remettre en cause les définitions de ces deux antinomies, ni même leur porosité ou les fluctuations qui animent la frontière entres elles dans le temps et à l'aune de l'évolution de la société.

Néanmoins le film se distingue selon moi par un traitement qui ne renvoie pas forcément dos à dos les hauts gradés et les trouffions, les donneurs d'ordres planqués à l'arrière sous les lambris dorés et la chair à canon qui constitue le gros des troupes, l'élite bourgeoise planquée et les fils du peuple jetés en pâture à l'ennemi. Il choisit plutôt d'opposer aux raisons morales qui ont pu provoquer le déclenchement du feu celles qui à l'heure où prend forme le récit font de ce groupe, pourtant sincère et honnête, le reliquat presque risible et en tout cas dépassé d'une époque finie. Je ne saurais dire si le film réussit cet exercice de pensée, mais l'ensemble forme un point de vue intéressant, passionnant à suivre, dans lequel on ne manquera pas de voir émerger de façon insidieuse, presque comme une épidémie qui n'ayant pas encore été détectée dans les strates de la population n'en est pas moins déjà à l'œuvre, les idéologies à la fois de victimisation et d'opposition à l'évolution sociétale qui mèneront au nazisme, posant déjà face au spectateur déjà au courant de fait, la fin d'une récréation.


Le second postulat développé est donc la présence maléfique de ce tueur, qui poussera l'un des hommes du groupe, qui se trouve en plus d'être le plus gradé militairement un policier dont la réputation reste encore largement présente et effective comme étant un grand enquêteur à mener l'enquête justement, et identifier cet homme, ses motivations, il sera aidé pour cela par une jeune médecin légiste, qui incarne ici de façon manquant parfois de subtilité cette évolution sociétale et donc idéologique qui définit désormais cette Vienne d'entre deux guerres que je développe dans mon précédent paragraphe.

Toutefois si je choisis de traiter cet aspect en second, alors que le film se vend comme un thriller policier, c'est qu'à mon sens cette partie n'a rien de mémorable ou percussif, il est même très classique dans son traitement, y compris la caractérisation des personnages, le déroulé de l'enquête, les pistes suivies à partir des différents indices ou témoignages, les interrogations sur la possible culpabilité de tel ou tel intervenant, puis la résolution du mystère et la confrontation finale avec le tueur.


En réalité ce qui m'a grandement séduit dans cette proposition tient surtout à sa direction artistique et particulièrement son décor, en effet la ville de Vienne apparait comme un personnage, mais même plus encore comme l'illustration parfaite de ce Momentum flou, indéfini, qui met mal à l'aise, qui montre à la fois que les affres du passé percolent encore tandis que l'inconnu d'un futur qui se rêve optimiste ne s'est pas encore totalement dévoilé, une Vienne située tant à la fin d'une époque qu'aux balbutiements d'une autre guère rassurante, ni porteuse d'espoirs. Pour se faire le décor se caractérise par un aspect irréel, des perspectives absurdes, des bâtiments dont la physique feraient saigner des yeux n'importe quel physicien n'ayant même que des notions primaires en gravité, des lignes de fuites impossibles, des incohérences géographiques qu'on croirait sorties d'un tableau surréaliste, l'impression de voir mis en mouvement les dessins de Escher. Ce choix artistique constitue une vraie force, car il a la politesse de ne pas tout de suite nous sauter aux visage et de laisser le scénario, le découpage d'abord nous faire ressentir l'entre deux inconfortable de l'époque dépeinte pour ensuite, une fois qu'on réalise son intangible réalité, appuyer et souligner sans jamais être redondant ce postulat.


Un film dont la promotion met sans doute trop en avant sa part la plus faible mais qui se rattrape par un deuxième axe de narration que j'ai trouvé bien plus abouti et un positionnement graphique inhabituel qui pourra peut-être paraitre comme poseur mais qui m'a totalement séduit et convaincu d'attribuer à cette proposition une note assez élevée et vous inciter à découvrir cette œuvre qui j'en suis sûr ne manquera pas de susciter des débats.

Créée

le 25 juil. 2023

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