Quand l'hôpital se fout de la charité
Le principal intérêt d’Hippocrate tient sans doute de la parabole - ou de la transposition évidente de la décrépitude de l’hôpital, que les traits d’humour et la légèreté balourde des carabins ne parviennent pas à masquer, à celle de toute la société.
Décrépitude. Le film, même s’il ouvre parfois des portes déjà béantes, soulève nombre de questions lourdes : les réductions budgétaires drastiques, la pénurie de matériel (et plus encore de matériel fiable), la réduction énorme des personnels, la gestion des hôpitaux confiés à des technocrates ignorant tout des questions médicales, l’euthanasie, l’acharnement thérapeutique, la guerre des services, l’exploitation honteuse des médecins étrangers, le soutien corporatif systématique, ou familial, et le mur du silence, tout est transposable,
Et au bout du compte quelques petits morts, par négligence, par erreurs accumulées, par manque de tout,
Et un conflit insoluble entre ceux qui travaillent (qui voudraient travailler) sur de l’humain, ceux qui travaillent sur de la viande et ceux qui comptent les sous et parlent rendement,
Des questions lourdes, pas forcément nouvelles, mais abordées sans lourdeur et de façon efficace.
Certes les bons sentiments et les clichés ne manquent pas, certes on n’est pas loin d’un manichéisme consensuel et bien pensant : c’est le médecin maghrébin (Reda Kateb, à son avantage), si mal traité, qui joue le rôle du chevalier blanc, sérieux, humain, le seul à prendre ses responsabilités, jusqu'à dire les choses quand le silence, souvent gêné, est de règle, et c’est lui qui paie pour tout le monde (après une parodie de conseil de discipline qui doit donner une idée assez exacte du fonctionnement des conseils de l’ordre) – quand le fils du mandarin, indécis, un peu lâche, toujours irresponsable quand il est en fait responsable de tout, s’en sort avec un avertissement totalement symbolique.
Mais la conclusion, qu’on se rassure, redeviendra consensuelle, positive et affirmera l’unité plus que positive, unanime, solidaire, de toute la corporation.
Les plus grandes faiblesses d’Hippocrate sont là.
On peut aussi trouver qu’il relève, un peu, du téléfilm à la française. Question de moyens sans doute -mais après tout, c’est aussi un de ses thèmes clés ….
Encore que …
Il vaut aussi, surtout, par son réalisme, et pas seulement dan sa vision très critique de l’hôpital,
… dans sa description de l’univers de la médecine – jusque au choix des acteurs, qui peut sembler déconcertant, Vincent Lacoste en médecin ( ?!!), en Bernard Menez pré-pubère et constamment plaintif ? Il suffit d’avoir croisé quelques médecins débutants pour constater que cette représentation-là est des plus crédibles,
… quant à l’humour carabin, qui s’affirme dès les bancs de l’université (avec envols de centaines d’avions, hurlements et expositions de culs permanentes), il est plutôt bien rendu, à quelques reprises dans Hippocrate, et contribue d’ailleurs à rendre plus léger le propos général :
- Tu sais ou se trouve la chambre d’Abdel ?l …
- Dans le couloir à droite, avec une bite sur la porte …
- Une bite verte, tu peux pas te tromper !
… Et la réalisation même comporte de belles trouvailles – en particulier, à travers les déplacements, toujours en rond, dans l’espace unique de l’hôpital, des couloirs souvent déserts aux chambres où la mort rode, des lieux de « détente » aux sous-sols déshumanisés et aux chambres sinistres des internes jonchées de graffitis et de poésies approximatives, espace unique donc, très immersif, où la sensation d’enfermement finit par devenir absolument écrasante,
… les échappées vers l’extérieur sont donc aussi rares que brèves et vaines, et l’ultime sortie du héros, avant qu’il ne pète les plombs, se passe dans la pénombre, et le long de grilles ininterrompues et infranchissables …
Une parabole.