Il y a plusieurs films qui cohabitent dans Histoire d'un regard.
Il y a d'abord la quête de recomposition mémorielle entreprise par les filles du photo-reporter Gilles Caron. Disparu en 1970 au Cambodge, Caron n'est cependant pas parti sans rien laisser derrière lui. Ses photographies (sublimes) sont autant d'instantanés gravés dans la mémoire collective que les liens indestructibles permettant à ses enfants de le retrouver, de le (re)connaître. Au travers des personnes qui ont peuplé ses clichés, les héritières (dont la réalisatrice, dans un sorte de transfert par rapport à son propre trauma familial) de l'illustre photo-reporter parviennent à garder le dialogue avec lui.
Puis l'éloge d'un art qui tient à la singularité de celui qui se l'approprie. Ici, il s'agit du regard. Celui d'un homme qui semblait doté du sixième sens, celui de savoir où le diriger pour l'immortaliser sur pellicule. L'intuition devient l'image, l'image devient l'Histoire, une Histoire écrite par le regard. Derrière le décorticage (anecdotes, entretien télé) du travail de Caron, c'est la place du photographe dans le processus vital de l'information qui est rappelée ici. Sa position de relais indispensable, ce juste milieu nécessaire à la compréhension, à la réflexion ou à la méditation.
Enfin, c'est la grande Histoire elle-même que le film cadre. Les mouvements contestataires de mai 68, les guerres au Vietnam ou en Israël, la famine au Nigeria. Ces lieux plongés en enfer qu'un œil avisé doit partager. Non seulement pour raconter les choses, et peut-être même les changer (les photographies de Caron ont permis de lever le voile sur l'agonie de populations en sous-nutrition au Biafra).
Trois angles que Mariana Otero choisit d'aborder, à défaut d'en choisir un. Ce qui se comprend, compte tenu du destin à la fois individuel et hors norme de son sujet. Mais c'est bien ce qui empêche (un peu) Histoire d'un regard de le capter durablement. La narration pâtit légèrement d'une chronologie chaotique et d'une voix-off monotone (un peu trop écrite d'ailleurs). Pour autant, l'objectif est globalement rempli. Le long-métrage est un joli morceau d'histoire, parsemée de vrais moments d'émotions (notamment dans les parties concernant Belfast ou au Tchad).
Il y a dans cette révérence à l'homme qui a contribué à "faire" l'Histoire une forme de justice. S'il a pu avec son œuvre réconcilier les peuples avec leur passé, ne mérite-t-il pas également qu'on s'attarde à lui et au sien ?

ConFuCkamuS
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le 12 avr. 2020

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