L'histoire du Japon de la bombe atomique de Hiroshima au début des années 70. Ou plutôt les histoires du Japon.
Comme le titre l'indique, le documentariste décide d'aborder la question à travers le regard d'une hôtesse de bar. Le principe consiste à lui montrer des images d'archive, et de lui demander ce qu'elle en pense, comment elle a vécu ces événements à titre personnel, et sa vie à l'époque. Toutefois, elle parlera peu des images qui lui seront montrées - à moins que ses propos n'aient pas été gardés au montage - pour se concentrer sur sa propre existence. Se superposent alors deux réalités intimement liées : celle du Japon d'après Guerre, et celle de Emiko.
Le cinéaste ne choisit pas ses extraits au hasard. Loin de louer la reprise économique, il préfère parler de la misère consécutive à la défaite, du marché noir, des manifestations étudiantes, des grèves et de leur répression, de la libération puis de la condamnation des principaux dirigeants communistes, de l'assassinat du chef du parti socialiste nippon, du Traité de Sécurité, du mariage fastueux du prince héritier et de cet étudiant qui a lancé une pierre sur le convoi, des expropriations pour la construction de bases américaines,... Vous saisissez l'idée.
Emiko, quant à elle, incarne un Japon rarement mis en valeur. C'est une burakumin. Je ne crois pas que le mot soit prononcé dans le film, mais il se devine : sa famille fait commerce de la viande, elle a quitté l'école lorsque ses camarades l'ont appris, et elle avait peur que sa condition l'empêche de se marier. Sa famille va pleinement profiter de l'après-guerre : trafiquant la viande au marché noir, accumulant les combines, surfant sur la mode du pachinko, elle décide finalement d'ouvrir un bar près d'une base américaine, tandis que sa mère compte bien profiter des dernières heures de la prostitution légale dans le pays. Pour autant, la vie de Emiko n'est pas rose, loin de là. Surtout niveau sentimental : maris violents, amants voleurs, multiples avortements, enfants qui grandissent sans leur mère... Elle développe un rejet des Japonais au profit des Américains, qui font sa fortune et par extension son bonheur.
Burakumin, mère maquerelle à ses heures, très critique envers l'empereur et son propre pays, et s'enrichissant grâce à la défaite et la présence américaine, Emiko représentait sans doute pour ses contemporains la lie de l'humanité. C'est pourtant une travailleuse acharnée, une femme indépendante et aussi moderne que pouvait l'être une Japonaise née avant la Seconde Guerre Mondiale.
Ce documentaire surprend en s'acharnant à traiter de sujets sans doute difficiles pour les Japonais eux-mêmes. Le résultat s'avère ainsi très intéressant, et bien loin de l'image d'Epinal. A montrer à tous les weaboos qui rêvent d'aller vivre au Japon.