Il y a quelques années le cinéma iranien semblait à la recherche d'un second souffle. "Cas de conscience", "La Permission", "Un vent de liberté", pour ne citer qu'eux, n'étaient pas de mauvais films mais semblaient uniquement répondre à une volonté de plaire au marché européen, remplissant un cahier des charges qui faisait d'eux des produits faits pour les festivals mais sans âme et réducteurs. Un cinéma social, politique, mais dépourvu d'une réelle ambition artistique.
Y a-t-il eu une réflexion profonde, globale et collective, impossible à dire, toujours est-il que comme par miracle les films iraniens de grande qualité ou tout du moins démontrant une folle vitalité et une diversité assez incroyable déboulent à nouveau depuis quelques temps. Comme débarrassés de l'influence tutélaire du maître Farhadi, revenu lui-même en demi-teinte avec son un brin caricatural "Un héros", des réalisateurs se permettent tout, y compris du cinéma de genre. La liste est impressionnante, jugez-en plutôt : "La Loi de Téhéran", "Le Diable n'existe pas", "Les Enfants du soleil", "Marché noir", "Le Pardon". Si tous ces titres ne sont pas tous de qualité égale, pas un n'est tiède, plaqué sur ce schéma qui handicapait le cinéma du pays durant le coup de mou évoqué plus haut.
Et voici donc maintenant que le fils Panahi décide de se jeter à l'eau après des années à seconder son père, comme assistant réalisateur ou monteur. Et le moins qu'on puisse dire est que ce "Hit the Road", présenté à la dernière Quinzaine des réalisateurs, m'a renversé, foudroyé.
Tout impressionne ici : la volonté d'embrasser et donc de rendre hommage à ses ainés, le cinéma de Jafar est là bien entendu, et par conséquent celui de Kiarostami, dont il fut lui-même l'assistant. Le road-movie, la voiture comme lieu de tous les possibles, l'enfance, etc. Rien ne manque donc, mais faisant preuve d'une grande maturité à l'image de ses compatriotes cinéastes nouvellement arrivés, il s'émancipe et se permet d'aller sur le terrain de la comédie pure. Efficacité des dialogues, burlesque de certaines situations, ça va vite, ça fuse, malgré la gravité sous-jacente, le passé qui encombre mais dont on ne nous dévoile que certains morceaux, par petites touches, pour ne pas parasiter le récit.
Il me faudrait trop de temps pour énumérer toutes les qualités de ce "Hit the Road" mais je préfère que vous alliez découvrir vous-mêmes ces personnages si attachants, cette émotion qui vous étreint alors que trois secondes plus tôt vous éclatiez de rire, Jessie et une chaise en plastique, de la mise en scène et des images à couper le souffle, l'utilisation de la nature et de ses éléments, comment on peut dans un même plan, par la durée et le mouvement, faire passer par toutes les émotions, en les alternant, en les faisant bouger dans le cadre, des passagers et donc des passeurs, de la politique et une tonne d'amour cachées dans chaque échange entre les membres de cette famille que je n'oublierai pas de sitôt, dans chacune de leurs pauses sur ce chemin chaotique, où sous le vernis de la cocasserie se cache la souffrance, où les « Ta gueule » veulent dire « Je t'aime ».
Allez je vous laisse, alors que quand j'écris ces lignes j'aperçois dans le ciel un papa devenu astronaute, des tentes et des phares dans la nuit, un enfant qui chante en play-back pour mieux pleurer avec sa mère...