Alfred Hitchcock disait dans Hitchcock/Truffaut en 1966 : “Demander à un homme qui raconte des histoires de tenir compte de la vraisemblance me paraît aussi ridicule que de demander à un peintre figuratif de représenter les choses avec exactitude.”
On retiendra si l’on se penche avec attention sur le sujet deux méthodes largement représentées pour mener à bien l’élaboration d’un biopic ; on peut ainsi choisir de mettre l’accent sur une reconstitution méticuleuse voire monomaniaque d’une époque et de la vie d’un personnage – voir Cloclo de Florent Emilio Siri, alliance entre un personnage bigger than life et le kistch pétillant des décors – ou bien choisir une vision des choses plus poétique, moins concrète, comme le Gainsbourg, vie héroïque de Joann Sfar. Sacha Gervasi semble quant à lui avoir opté pour un entre-deux maladroit avec son Hitchcock et rate complètement le cœur de son sujet.
D’entrée de jeu mis à mal par une lumière complètement insignifiante qui donne à tous les costumes, décors et paysages un aspect très « toc » (on se croirait par moments perdus dans le Wisteria Lane de Desperate Housewives), le film semble en effet ne pas avoir compris son essence même. Il ne s’agit pas tant ici de paraître le plus crédible possible, de « faire vrai » mais simplement d’être sincère, d’être juste. Une justesse qui s’évanouit bien vite après une ouverture somme toute assez maline (Hitchcock brise le quatrième mur et s’adresse directement à nous, comme il avait l’habitude de le faire dans sa série TV). Il faut dire qu’avec un maquillage aussi lourd, il est difficile d’être authentique, même pour un comédien chevronné. Le pauvre Anthony Hopkins passe ainsi tout le film à gesticuler bêtement, frôlant sans cesse la pantomime la plus embarrassante. C’est à vrai dire le seul (mais difficilement pardonnable) bémol du casting, par ailleurs tout à fait charmant – Scarlett Johansson et Helen Mirren sont resplendissantes.
C’est d’ailleurs Helen Mirren qui occupe la place centrale de l’histoire, le film ayant au moins eu la bonne idée de faire découvrir au monde le rôle discret mais primordial d’Alma Reville, la compagne d’Hitchcock et sa principale conseillère. Le film suit les pérégrinations du couple tout au long de l’élaboration de Psychose (le plus grand succès et la plus grande prise de risques du Maître) et dévoile sans détours les problèmes de couple, d’argent, le caractère difficilement gérable du cinéaste et le poids du studio qui pèsent alors sur eux. Si cela est parfois touchant, difficile de ne pas reprocher au film sa démarche trop factuelle. Gervasi est plus intéressé par la véracité de ce qu’il montre que par la manière dont il le montre. Et même si le niveau s’élève quelque peu lors de la séquence finale (le montage alterné entre Hitchcock et le public met en lumière son caractère manipulateur), la mise en scène globale reste plus utilitaire qu’artistique.
On finit donc par se poser la question du véritable intérêt de cette œuvre qui ne fait jamais qu’effleurer la complexité du réalisateur, sans en saisir les causes et sans la moindre touche de subtilité. Et pourtant il y avait matière dans cet épisode si riche de sa carrière à faire surgir du cinéma, de la mise en scène, en bref : à faire preuve d’une certaine inspiration. En témoigne ce plan dont la fugacité imposée par un montage sans saveur est symptomatique des problèmes énoncés plus haut : lors du tournage de Psychose, Hitchcock passe derrière un écran de projection et l’ombre de son célébrissime profil traverse l’image. D’aucuns y verront les prémisses d’une belle métaphore de son omnipotence d’artiste, du rapport de domination presque naturelle qui peut s’instaurer sur un plateau. Que nenni, il s’agit ici d’un simple clin d’œil forcé qui nous laisse, nous autres spectateurs, seuls avec notre frustration.