Le Sacré et le Corps rompu
Revivre une fois, deux fois, dix fois, vivre à nouveau, mais non pas pour faire, bien pour refaire. Être un, n'être rien, être tout et aucun. Être acteur de sa propre vie, vivre ses actes, ne vivre sa vie que par des actes qui ne sont pas de sa vie, être "plusieurs et aucun".
Penser à nouveau, pour le renouveau, oublier le passé en offrant un présent pour les générations futures. Saint Carax, oublié mais au culte fervent, revient pour sa nouvelle Trinité : l'impair, le fil et le sain d'esprit. Carax, crucifié sur le Pont-Neuf, à l'ombre aperçue dans une Merde à Tokyo, ressuscite et offre un miracle pour son père, Cinéma. Monsieur Oscar (di)vit(se) sa vie en dix, pas une de plus, dix vies contrastées, entre la mendiante, le mourant, l'acrobate, le tueur ; de nombreuses vies, toutes vécues pleinement, l'espace d'un instant, comme si plus rien d'autre ne prévalait. Monsieur Oscar perfectionne son geste, sublime les vies pour sublimer la beauté. Les vies, peut-être, mais bien plus des fantômes de vies, des ombres prévalant sur ce qui devrait être ; malgré tout, la lumière passe. Lumière du projecteur, pour un film aux caméras invisibles, aux acteurs constants, aux dix rôles d'une vie. Lumière de l'amour, comme le dit le mourant Monsieur Oscar : "la vie est meilleure, car dans la vie, il y a l'amour. La mort est bonne, mais l'amour n'y est pas". Lumière de l'oubli immédiat, celle de la révolution constante et du renouveau permanent. Le film est une lumière, une œuvre libre obscène et hors du temps (donc forcément en avance sur le nôtre), quelque chose d'implacable, où la magie du cinéma fait à nouveau surface, mais une surface crênelée, un paysage nouveau : lunaire, et pourtant si humain.