Leos Carax and the Holy Grail
Leos Carax, le sale gosse du cinéma français, tour à tour critiqué avec virulence et élevé en maestro, après 30 ans d'absence (a l'exception de cette apparition de Mr Merde dans le film à sketches Tokyo! ), a toujours eu envie de vieillir vite dans ses films. Vieillir vite, vivre vite, pour mourir plus vite ? Si ce credo est à l'origine du romantisme fulgurant de Mauvais Sang, qu'en est-il d'Holy Motors, film atypique ou Mr Oscar (magnifique Denis Lavant) se balade de vie en vie, de personnages en personnages ?
Métaphore plutôt visible d'un cinéma qui meurt (chacun des segments se termine de manière plus ou moins morbide), le long-métrage de Leos Carax a souvent été taxé de macabre et pessimiste, là où, justement, il est fondamentalement vitaliste et optimiste. Un cinéma qui meurt, d'accord, mais pour revivre ensuite ! Revivre, renaître, ressusciter de ses cendres, c'est la thématique principale de Holy Motors, à l'origine des plus beaux moments du film : la course frénétique d'un individu étrange, une séquence de motion capture hypnotique, puis viscéralement érotique, deux anciens amants déambulants dans des décombres au rythme doux-amer d'un chant mélancolique...
Revivre, donc, à la manière d'un acteur qui revêt ses peaux différentes sans s'arrêter : Denis Lavant, comme Mr Oscar, existe de manière protéiforme. Personnage caméléon, acteur caméléon, mais surtout art caméléon : c'est le cinéma tout entier qui est métaphorisé ici, non pas sa mort présumée, mais sa particularité à devoir, vouloir se renouveler sans cesse, à renaître de ses cendre, exactement comme le roman.
Le personnage de Mr Oscar est profondément émouvant grâce à une caractéristique toute humaine : s'il peut paraître si inexistant à certains, c'est précisément parce qu'il veut exister trop... Il veut vivre, de manière exacerbée, exagérée, c'est pour ça qu'il tient tant à faire mourir ses personnages : il veut les faire renaître, car il n'y a rien de plus beau que l'exaltation de la naissance. En bon romantique, Carax vit et créé "pour la beauté du geste" ("Non, personne ne m'aime, nulle part, mais je vis quand même", dit en romani une vieille mendiante, porte parole de Carax), mais il y a autre chose dans son film, quelque chose de nouveau dans le cinéma, français et international : la mise en scène de l'importance vitale de la fiction, cinématographique en l’occurrence.
L'homme, prisonnier de son corps ("Ta punition, c'est d'être toi ma pauvre Anglèle"), ne peut que recourir à son imaginaire pour pouvoir faire naître et mourir des "personnages", parties de son existence et de sa pensée, qui lui évitent de songer à la mort comme fin de toutes choses. La mort d'un personnage en fait vivre un autre, or "rien ne nous fait sentir plus vivant que la mort des autres".
Du moins en ce qui concerne nos trublions fictifs : car lorsque l'on est confronté à la mort d'un être cher, il ne reste plus qu'à se ruer dans sa limousine, coupée du monde et de sa rudesse, en compagnie de tous ses costumes rassurants. Le rôle du cinéma, selon Carax, est non seulement de nourrir cet imaginaire en lui offrant des images qui s'engendrent les unes les autres, mais aussi et surtout de l'exalter. C'est cet enjeu, intensément vitaliste, qui bouleverse dans Holy Motors.
C'est peut être bien celui là, le "bright side of life" que les Monty Pythons défendaient dans leur trilogie : après tout, la fiction n'est qu'une vaste blague. Et puisqu'il faut rire avant minuit...