En bon cinéaste engagé, Martin Ritt a mis en lumière bien des personnages issus des minorités, qu’il s’agisse de la classe ouvrière (L’homme qui tua la peur, les mineurs de Traitre sur commande ou l’ouvrière Norma Rae) ou raciale. Il ne pouvait raisonnablement faire l’impasse sur la question indienne, qu’aborde donc Hombre.
Paul Newman un de ses fidèles, y campe un homme blanc élevé par les Apaches, sa patrie d’adoption. Taiseux, plus apte à vivre en extérieur que parmi les hommes, la situation initiale va le voir pourtant forcé à cohabiter un temps avec eux.
La première partie, très habile, met en place une amorce pour mieux la désactiver : héritant d’une auberge dans une petite ville au milieu de nulle part, on imagine déjà son intégration difficile et la romance à venir avec la tenancière (Diane Cilento, très convaincante dans le rôle habituel chez Ritt de la femme à forte tête qui ne s’en laisse pas conter).
C’est exactement l’inverse qui va se passer : Hombre liquide l’affaire et par là même fait imploser la petite communauté : cet espace en forme d’impasse, duquel le sheriff lui-même rêve de s’extraire, devient soudain un point de départ. La communauté se réunit dans une diligence, rejoint par d’autres pressés de partir, pour un road movie à la tonalité résolument cynique.
C’est donc sur les traces de la Chevauchée fantastique de Ford, lui-même inspiré du Boule de Suif de Maupassant, que va se poursuivre le récit : chaque personnage aura droit à son portrait, pour un regard sans fard sur une humanité éclectique en termes de tempéraments ou de classe sociale, mais presque unanimement solidaire dans la médiocrité.
Hombre est une fable noire, un western malade dans lequel rien ne fonctionne comme il le devrait. La ville est un point de fuite, la route un inconfort constant, le soleil une arme silencieuse, la communauté un nœud de vipères. Le parcours n’est qu’une suite d’arrêts, d’improvisations, autant de perturbations vouées à mener à bout des personnages contraints de révéler leur véritable nature.
Le regard acerbe du personnage de Newman (affublé de plusieurs patronymes, John Russel, ou Hombre) est sans concessions sur la troupe qu’il sauve : alors qu’on l’avait mis au ban, il sera, bien évidemment, leur seule chance de survie. Mais le radicalisme avec lequel il agira est en accord avec les noirs sarcasmes que va subir le genre même du film : fondé sur les béances et l’immobilisme dans un état de siège étouffant, refusant les décharges héroïques, il met au premier plan un engagement moral, celui de la cause indienne, en forme de vengeance sur l’oppression blanche.
La fabuleuse dernière séquence dans une mine abandonnée se déroule sur un plan incliné d’une raideur presque inhumaine. (On retrouvera ailleurs exactement le même lieu et cette déclivité dans une des très belles scènes de Traître sur Commande). Ce découpage de l’espace, la lenteur d’une action figée et mortifère, l’ascension de l’une contre la descente d’un autre, toute cette pénibilité splendidement maîtrisée par le cadre et le rythme résument parfaitement la vision de l’humanité proposée par cette morale amère : la société est instable, fondée sur les inégalités et la violence : la prospérité de l’un se fait sur la chute de l’autre.
Et l’héroïsme sacrificiel qui en découle a ceci de poignant qu’il suscite moins l’admiration du héros que le mépris pour nos congénères.
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