Ceci n’est pas du cinéma. Au mieux c’est un document pédagogique vu du ciel, au pire un défilé de cartes postales au discours lobotomisant. Le dvd propose le film en deux versions : une version commentée off par Yann Arthus-Bertrand himself, une autre uniquement musicale. J’ai choisi de regarder celle proposée dans les salles de cinéma, celle commentée. Elle est insupportable. Paternaliste. Elle assène le spectateur de constats humanistes, le considère immédiatement coupable et le manipule par les sentiments. Mais l’autre version n’est guère mieux puisque le film, dans les deux cas, se termine sur une flopée de petites phrases chiffrées synthétisant ce que l’on nous a rabâché deux heures durant. Bref, impossible d’y échapper. J’ai envie d’effectuer un petit comparatif entre ce film là et trois autres, aux desseins complètement opposés mais qui eux aussi ont cherché à filmer et parler de la planète, trois films beaucoup plus profonds qui s’ils ont moins vocation documentaire dans le sens pédagogique du terme se révèlent être des films expérimentaux, des films de cinéma, des voyages de cinéma.
Prenons tout d’abord Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio, l’évidence. Véritable méditation transcendantale sur les bouleversements de l’humanité, le plus proche des trois films que j’ai choisi du film de Yann Arthus-Bertrand dans son propos, puisqu’il évoque les dérives des métamorphoses du paysage terrien. Chez Arthus-Bertrand, l’image ne respire pas, c’est un défilé d’images, de belles images, qui ne durent jamais plus de dix secondes. Sans le commentaire, c’est deux heures de diapositives sur un rétroprojecteur, ce n’est pas du cinéma. Reggio, lui, travaille la durée de ses plans, le rythme, l’hypnose tout en optant pour un procédé d’apparence rédhibitoire : l’accélération de l’image. Cette urgence et ce rythme effrénée se mariaient parfaitement avec les évolutions qu’il mettait en image. Et puis il y avait, au travers de cette harmonie créatrice, une sorte de contrepoint magnifique à ce qu’il montrait : la laideur devenait fascinante, le paysage immaculé transformé en terre de gratte-ciel devenait quelque chose de bouleversant. Le message n’avait pas valeur écologique au sens pédagogique, il replaçait l’homme moderne dans son monde, aussi beau que terrifiant. Arthus-Bertrand liquéfie son spectateur pendant une heure cinquante, avant d’effectuer un aparté malhonnête de cinq minutes sur les maigres réussites pour enfin redevenir lui-même et terminer sur une synthèse chiffrée pessimiste ainsi que de grandes phrases toutes faites du style « Apprenons à vivre tous ENSEMBLE ». Devant Home, j’ai la désagréable sensation d’être le plus grand des coupables, l’impression d’être dans la peau d’Alex dans Orange mécanique, lobotomisé. Une fois le système Ludovico terminé, Alex, guéri en apparence, ne pouvait plus supporter d’entendre la neuvième de Beethoven. Arthus-Bertrand a son Ludovico à lui, son système s’appelle Home, et en sortant de ça on aime toujours Beethoven mais on est misanthrope comme jamais, voilà pourquoi je pense que c’est le film fasciste par excellence. L’homme est la pire des espèces, c’est tout ce qu’il a à dire.
Prenons ensuite James Benning, son cinéma et non un film en particulier, pour pouvoir n’effectuer qu’un comparatif mise en scénique. Soyons clairs, ces deux types là n’ont absolument rien en commun ! Si Arthus-Bertrand croit avoir fait un film immersif, qu’en est-il de Benning qui simplement en posant une caméra dans un lieu propose de travailler sur l’imaginaire et fait naître une quantité d’émotions là où on ne les soupçonnait pas ? La réponse, en plus de se situer dans le choix du plan et sa durée, se trouve dans le mouvement. Il n’y a pas de mouvement dans les plans de Home, où s’il y en a, ils ne sont jamais mis en valeur puisque le plan ne s’y intéresse pas, puisque le hors-champ n’existe pas. Le mouvement dans Home est un mouvement de caméra, uniquement cela, un mouvement légèrement panoramique ou un mouvement de zoom tandis que le mouvement de caméra chez Benning n’existe pas. Cette contrainte permet une chose fondamentale : quand on veut mettre en valeur le contenu d’un plan, son architecture, sa beauté et son mouvement, il ne faut pas que le mouvement du contenant et celui du contenu ne s’annulent. Dans Home, l’image ne vit tellement jamais que parfois, au détour d’une image un peu originale, ou lointaine, on se pose la question du matériau : Est-ce le réel filmé dans le réel ou n’est-ce tout simplement pas une photo placardée sur l’écran ? Dans un film comme 13 lakes, on le sait ce sont des lieux où le cinéaste est allé, ça se sent, se respire. Benning c’est une peinture harmonieuse d’images vivantes, Arthus-Bertrand une succession d’images mortes.
Pour terminer, évoquons un film que j’ai découvert récemment, une merveille de documentaire comme j’aimerais en voir chaque jour, Encounters at the end of the world de Werner Herzog, et penchons-nous sur le choix d’une version commentée. Ce qui différencie d’emblée ces deux films c’est l’emploi du pronom personnel : Le Je chez Herzog, Le Nous chez Arthus-Bertrand. Le Je permet au spectateur d’être tenu à distance autant qu’il lui permet de s’identifier au cinéaste. Le Nous ne lui laisse déjà pas le choix, il est au centre contre son gré et le Nous dans Home fait sa première apparition au singulier d’entrée car c’est avant tout un Tu dans la première phrase, comme si on nous montrait du doigt. Arthus-Bertrand cherche au plus vite le malaise. Ces deux films ne racontent évidemment pas les mêmes choses, c’est un voyage contre une synthèse, mais il est tout de même frappant de constater à quel point cette petite voix et cette attention que l’on trouve chez Herzog rendent davantage grâce à la nature que cette guimauve sponsorisée par PPR et produit par Luc Besson que nous sert YAB (en hélicoptère) en guise de spot publicitaire Europe Ecologie Les Verts.