Taillée sur mesure pour le très populaire cinéaste Steven Spielberg, l’adaptation de l’œuvre de James Matthew Barrie lui offre des possibilités titanesques afin de recouper avec ses thèmes récurrents. L’enfance est un état de stase dont on cherche souvent à en sortir. On cherche à faire évoluer la conscience vers un niveau extrêmement inaccessible, c’est pourquoi le récit partage sa narration entre réalité et fantaisie. S’il ne s’agit pas de la lecture conforme du roman ou bien de l’animation enchantée de Disney, le réalisateur se permet des libertés, découvrant ainsi un ressort scénaristique pur et intéressant. Il libère ainsi les arcanes d'un cinéma familial, qui possède également tous les motifs qui collent à la carrière d'un réalisateur, rêvant toujours les yeux ouverts.
Pas le temps de s'amuser à Londres, la magie est loin d'exister dans un monde qui pousse les travailleurs à se donner corps et âme dans un métier ne profite au big boss. À ce stade, nous arrivons un poil trop tard dans le parcours du protagoniste qui, malgré une vie rangée, doit simplement redevenir un héros et un père. La quête initiatique est un sujet que le metteur en scène prend alors à contre-pied. Ici, il s’agit d’un adulte rigidement ancré dans sa profession et qui entrevoit l’accès vers la délivrance par les souvenirs et la nostalgie. Cet état d’esprit se traduit par une échappatoire évidente, car elle ne soumet pas ou peu de responsabilités. Nous faisons alors un crochet vers l’enfance et l’état d’esprit qui l’accompagne. Cependant, le point de départ diverge des précédents récits. On se délecte d’un Peter Banning (Robin Williams) particulièrement enchaîné à son business. Il est résolu à absoudre un mal-être qui l’a enraciné un moment, avant de virer de bord et d’accepter la fatalité qui lui était destinée. Comme chacun, une fois dans une situation inconfortable, on cherche à se faire oublier ou à disparaître. Le drame qui suit ce constat démontre alors que l’impasse est une dure réalité que Peter se doit d’affronter, dans sa tête et dans les bons souliers.
Mais alors pourquoi son personnage ne constitue pas la charnière centrale du conte ? Le Capitaine James Hook (Dustin Hoffman) et son crochet ne sont pas présents par hasard. Loin de la figure emblématique du némésis de l’enfant éternel, le personnage admet une bien belle évolution. Lui également laisse paraître un malaise à l’égard de son « enfance », un passé lointain où son identité stagnait. Sa force réside dans son développement, un brin manichéen, mais accentué en valeurs morales essentielles à la compréhension de l’œuvre. De même, la fée Clochette (Julia Roberts) constitue une figure féminine que l’enfant ne peut sonder, contrairement à la charge émotionnelle d’un adulte. La famille passe par-dessus tout, c’est bien connu, mais qu’en est-il de l’extravagance des actes ? Les mœurs n’ont un sens que dans les yeux de celui qui possède une vision d’ensemble. Le rôle de Peter est donc de jongler avec son passé, afin de mieux comprendre ce qui le freine dans sa montée spirituelle. Ce qui permet, au dénouement, de générer une ouverture intéressante sur les étapes clé concernant l’ascension de Pan. Entre le vécu et la révélation, le spectateur n’aura plus qu’à sélectionner l’impact qui lui convient.
Avec Spielberg, nous ne sommes pas prêts d’égarer notre enfance dans nos responsabilités quotidiennes. Ce sont également de bonnes raisons qui nous poussent à prendre du recul sur l’éducation que nous avons reçu. « Hook ou la Revanche du Capitaine Crochet » émet toujours ce contraste optimiste entre la réalité et le fantastique. Ne sachant pas comment trancher, ni comment rattraper le manque évident du budget technique, afin de bâtir son univers imaginaire, le réalisateur finit par recycler un style qui a déjà fait ses preuves dans ses précédentes œuvres. Sans le vouloir, il se laisse piégé par une marque de fabrique que l’on jugerait d’enfantin, vis-à-vis de sa filmographie qui se tourne à présent vers des thématiques plus crues et matures. C'est pourtant tout ce qu'il y a de plus illustratif, à l'égard d'un cinéaste qui se projette autant dans son vieux héros ramolli que dans les pensées nostalgiques d'un homme, en défaut de contrechamp. Cela ne nous découragera pas non plus à reprendre un peu de nourriture imaginaire et nos vieilles armes émoussées pour sauver ce qui peut encore l'être. Spielberg le hurle avec une sincérité qui n'est pas près de désenchanter.