Vingt ans déjà nous séparent du dernier coup d’éclat de Kevin Costner et par là même du dernier grand western classique de l’histoire du cinéma. Si Tarantino s’est entre temps affairé avec succès au renouvellement du genre par l'exploitation de l’héritage de sa branche italienne, personne, une fois de plus, ne donnait vraiment cher de la peau du genre sous sa forme primaire. Seul l’auteur du magnifique Open Range pouvait en effet se permettre de renvoyer à la face d’une industrie déliquescente le souvenir de son passé glorieux, de réveiller les fantômes de John Ford, Howard Hawks ou Raoul Walsh. Ce projet, Kevin Costner le porte depuis 1988, il sort finalement aujourd’hui en 2024 dans une indifférence publique comme critique qui laisse craindre le pire pour le futur du cinéma.
Ce chapitre premier fonctionne à la manière d’une grande introduction durant laquelle Costner nous présente tour à tour les protagonistes, le contexte historique ou encore les paysages de l’Ouest sauvage. Horizon se présente sous la forme d’un film choral au cours duquel l’acteur/réalisateur nous fait naviguer d’état en état à la rencontre de maint personnages et communautés dans leur entreprise de construction d’une nation. Les protagonistes sont ainsi au cœur du long-métrage, Costner leur donne du corps, une consistance, une existence, une sensibilité qui les rend immédiatement proche de nous, l’empathie est immédiate. Il se dégage de ces gens une vérité et une pulsion de vie, un désir de vivre et de demeurer coûte que coûte sur ces terres hostiles qui ne peut laisser de marbre. A travers ces situations, Costner semble rechercher une certaine exhaustivité, comme s’il désirait faire de ce projet le western somme, ultime, le plus grand, le plus ambitieux voire peut-être le point final d’un genre sous assistance respiratoire depuis un bon bout de temps déjà (sous sa forme classique bien entendu), et il parvient selon moi à la toucher du doigt de façon tout à fait convaincante (du moins à la vision de ce premier chapitre).
Si les critiques les plus véhémentes ont pu comparer le film à une série tv, ce qu’il n’est de toute évidence pas, il serait cependant malhonnête de nier l’influence de ce médium (inspiré par son passage dans l’écurie de Taylor Sheridan) sur le nouveau projet de Costner. Comme si l’acteur/réalisateur cherchait à transcender à la fois le médium cinématographique en lui conférant un format épisodique et une foisonnance d’intrigues et de personnages, et celui de la série tv en lui offrant un faste visuel propre au cinéma. De fait, les deux s'interpénètrent adroitement, Horizon demeure ainsi un vrai film de cinéma empruntant au médium télévisuel et non l’inverse. La démarche peut paraître osée, étonnante, et elle l’est, mais poussée à ce point elle apparaît surtout comme un renouvellement dans la manière de penser le grand spectacle au cinéma. Avec Horizon, c’est donc le retour de l’ambition sur grand écran, tout, de la mise en valeur des paysages au parcours des personnages en passant par l’étendue de l’intrigue temporellement comme géographiquement, le tout mis en valeur par la mise en scène ample et efficace de Costner procure le sentiment d’un univers immense, d’une épopée grandiose dans laquelle l’humanité dans toute sa complexité et sous toutes ses facettes se retrouve sur l’écran.
Comme l'indique son sous-titre (Une saga américaine), Horizon est aussi un grand film sur l’Amérique, sur la construction d’une nation, sujet que Costner n’a eu de cesse de traiter de Danse avec les loups à Open Range en passant par le très sous-estimé Postman. Sa vision de l'Amérique comme construction communautaire et d'un Ouest sauvage assumant pleinement son statut d'allégorie biblique, à la fois Paradis et Enfer, Tohu-Bohu et Eden, irriguent le film et confirment l'idée que Costner se fait de cette jeune nation que l'on ne peut comprendre pleinement qu'à la lumière de cet épisode fondateur, matrice de toutes ses obsessions et contradictions.
Le cinéaste traite son sujet à bras le corps sans rien dissimuler au spectateur : massacres, collections de scalpes, dissensions tant côté colons qu’indiens, infanticide, vengeance… On sent à chaque seconde la passion qui anime Costner, on sent son coeur battre en chaque plan, le sang qui irrigue le film c’est le sien, bref, Horizon a une âme, mais ce genre de projet a-t-il encore sa place dans une industrie cherchant davantage à satisfaire qu’à proposer, à une époque où les ténors du box-office s’appellent Gerwig, Nolan ou Villeneuve ?
Ce qui frappe par-dessus tout à la vision de Horizon, c’est son anachronisme. Hormis chez quelques vieux de la vieille rescapés ou héritiers du Nouvel Hollywood, ce type de cinéma se fait bien rare. Il semble aujourd’hui plus que jamais porté en étendard par une poignée d’irréductibles au premier rang desquels un Kevin Costner borné, bien décidé à redonner vie, le temps d'un dernier tour de piste, à un cinéma mourant, celui de son coeur. Je parle ici d’un cinéma passionné, incarné, de films de "mavericks" faits par des auteurs qui comprennent pleinement le langage du cinéma, la puissance qui émane de deux plans qui s'enchaînent pour créer une idée ou une émotion et n’ont donc nul besoin de surcharger leurs films d’affèteries auteurisantes, cache-misères pour tâcherons et autres pseudo artistes couronnés de lauriers par une critique boboïsante et nombriliste et qui ont fini par y croire. Certes, Costner ne se facilite pas la tâche en revenant inlassablement au western classique, genre dont les derniers grands succès sont à chercher du côté des années 1960. Voilà en effet bien longtemps que son pendant italien lui a ravi la vedette aux yeux des spectateurs, aujourd’hui encore seuls ses héritiers parviennent à truster le sommet du box-office. Mais Costner s’en moque, il "assume d’être vieux jeux", de se référer davantage à John Ford qu’à Sergio Leone. Face à cette détermination de plus de trente ans, l’absence du public et le bâchage critique sont désarçonnant. Cette dernière semble lui reprocher un trop plein de cinéma en pointant du doigt sa longueur, sa recherche d'exhaustivité ou encore son grand nombre d’intrigues et lui préfère sans rougir le néant cinématographique du Comte de Monte-Cristo, révélant un changement de paradigme dans la manière de recevoir, d'apprécier voire tout simplement de reconnaître le cinéma qui confine à l’inversion des valeurs. Anachronique, Horizon l’est également par le dispositif émotionnel qu’il met en place et que l’esprit cynique et rationnel de notre époque n’est peut-être plus en mesure de comprendre. Ici, les valeurs sont belles, grandes, universelles, les émotions, simples et pures, comme seules les grandes épopées savent en délivrer. Les réseaux sociaux, la sacro-sainte satisfaction à court terme ou quinze ans de marvelleries nous ont-ils à ce point altéré le cerceau que nous ne puissions plus apprécier à sa juste valeur une telle proposition, un tel cri du cœur ? Je l’ignore; mais ce que je crains de savoir c’est qu’à une époque ou la froideur clinique et le rationnel en berne sont portés aux nues, le raz de marée de vie qu’est Horizon n’a peut-être plus sa place. Alors oui, le quatrième long-métrage de Kevin Costner n’est pas de ces films qui laissent le spectateur végéter dans son siège, mais de ceux qui l'impliquent et font confiance à son intelligence quitte à lui demander un léger effort d’attention supplémentaire. En contrepartie, il est de ces films qui délivrent un panel d'émotions inouï et se gravent durablement dans les cœurs et les esprits.
Malheureusement, Costner est en train de connaître le sort de Cimino et le monde du cinéma semble applaudir des deux mains.
Horizon mérite amplement qu’on lui laisse une chance car voilà du grand cinéma, du comme on en fait plus avec des personnages consistants, des histoires captivantes, de la mise en scène à chaque coin de plan, une grande et belle musique symphonique, une photo et des paysages à couper le souffle et surtout une pulsion de vie palpable à chaque seconde. Ce futur incontournable du genre a besoin de vous, ne lui tournez pas le dos et laissez le vous embarquer sur cette terre appelée Cinéma.