Une génération biberonnée à l'épouvante

Ce n’est pas commun pour un festival de cinéma d’accueillir comme invité quelqu’un qui n’aurait théoriquement pas le droit d’être là. C’est pourtant ce qui s’est passé avec le 2300 Plan 9, festival de La Chaux-de-Fonds (Suisse) consacré aux films d’exploitation et à la série Z qui, quoique réservé normalement à un public adulte, a reçu lors de son édition 2016 un jeune réalisateur de 16 ans, Nathan Ambrosioni. Ce dernier, qui a commencé à travailler sur son film à 14 ans, s’est vite confronté aux contraintes du réel puisqu’il a dû vendre ses vieux jouets pour s’acheter une caméra et s’engager auprès de ses parents à ne tourner qu’en dehors des heures de cours. Un défi relevé avec un certain succès puisqu’il est parvenu à mener la réalisation de son long métrage jusqu’au bout dans les Alpes maritimes grâce à un financement participatif, qu’il a pu être projeté hors de France (en Italie et en Colombie notamment) et qu’il prépare déjà le prochain.


Hostile raconte le calvaire de Meredith, une femme qui a décidé d’adopter deux sœurs orphelines, Anna et Emilie, qui, loin d’être des petites filles modèles, ont un comportement plus qu’étrange, paraissant dépourvues d’empathie et semblant obéir aux ordres d’un ami imaginaire, Jefferson, dont les intentions n’ont rien de bienveillantes. Désemparée, Meredith fait appel à deux journalistes de l’émission SOS Adoption, qui travaillent sur les problèmes d’intégration des enfants adoptés. Ils seront vite dépassés par la situation, de même qu’une baby-sitter ou une médium qui, toutes, devront capituler devant les forces maléfiques qui habitent les deux enfants. Il s’agit donc, vous l’aurez compris, d’une film d’horreur, avec toute la gamme des éléments caractéristiques du genre : enfants inquiétants passant leurs journées en chemise de nuit en fixant le monde d’un air imperturbable (vieux paradoxe de l’innocence trompeuse), présences démoniaques, exorcismes, sectes sataniques et tout l’attirail usuel.


Nous n’avons certes affaire ni à un chef-d’œuvre ni à un film d’une grande originalité, loin s’en faut, mais si l’on prend en compte le très jeune âge du réalisateur et son sens de la débrouille, tout laisse à croire que ce n’est qu’un début et que Nathan Ambrosioni est bien parti pour faire parler de lui dans les décennies à venir. Il y a un certain nombre de points faibles bien sûr : le jeu des acteurs laisse parfois un peu à désirer, le scénario a certains aspects caricaturaux dans son recours excessif aux topoï de l’épouvante et provoque quelques longueurs, et surtout il y a quelques sérieux problèmes au niveau de la lumière et de l’étalonnage, l’image gagnerait à être filtrée différemment (on le remarque particulièrement au rendu des visages qui, s’ils créent certains effets horrifiques, le font bien involontairement). Mais ce qui impressionne, c’est la maîtrise très poussée des codes du genre, qui étonne chez un réalisateur si jeune : on le voit dans les jump scares, dans l’usage des miroirs pour créer des effets de surprise, dans l’enchainement des plans, dans l’usage de la musique et des bruitages, et dans le montage de manière générale. On est véritablement confronté là à une nouvelle génération, celle de jeunes créatifs qui, durant leur adolescence, ont vu plus de films d’horreur que leurs prédécesseurs et ce depuis plus jeunes. L’influence du cinéma d’horreur des années 2000 et suivantes est patente – le jeune homme évoque entre autres Insidious et Conjuring parmi les films qui l’ont marqué et ce sont en effet des références qui se sentent très nettement dans le sien – et on a l’impression, avec Hostile, de passer de la perception attentive d’un spectateur gavé à l’épouvante, à sa propre transposition des codes en vigueur, par un de ces coups de force mimétiques propres aux jeunes artistes dans leur période de formation. Tous ces effets spécifiques à l’horreur peuvent paraître un peu faciles et ne sont certes pas très originaux, mais il faut bien admettre qu’ils fonctionnent et que Nathan Ambrosioni en joue d’une main déjà très sûre.


Alternant image objective et found footage (à travers la caméra des journalistes et celle de la médium), Hostile sait varier les perspectives, au risque de quelques paradoxes dans le déroulement de l’action (mais pourquoi diable est-ce qu’en pleine nuit, les personnages se contentent-ils de la lueur flippante de leur caméscope alors qu’ils sont dans leur appartement et pourraient allumer la lumière ?). Et, dans les meilleurs moments, lorsque les petites diablesses se déchainent et que le film se laisse aller à quelques écarts grand-guignolesques, on pense, le temps de quelques secondes, d’une image, d’un mouvement, à Jean Rollin, autre bricoleur français que les obstacles matériels ou le manque de moyens n’ont jamais empêché de suivre sa voie et de faire absolument ce qu’il voulait. Et avouons que quitte à faire un parallèle, celui-ci n’est pas déplaisant !

David_L_Epée
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le 30 mars 2016

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