[ATTENTION, CETTE CRITIQUE SPOIL LOURDEMENT]


Dans une grande vallée de l’ouest américain, une famille tranquille a élue domicile sur le territoire d’indiens Comanches. C’est l’ouverture magistrale que propose Scott Cooper dans Hostiles, une introduction tout en cruauté nue. Le réalisateur a alors l’intelligence créative de ne pas s’attarder sur les enfants du personnage de Rosamund Pike, comme si le film lui-même courrait pour sa vie. Si le bon père de famille se sacrifie rapidement pour donner à sa famille un répit salutaire, les indiens parviennent à éliminer le reste de sa famille, exceptée la mère. Ironie dramatique très forte, Mrs Quaid continue de courir, sans remarque ce que le spectateur n’aura pas manqué : le bébé qu’elle porte, a déjà rendu son dernier souffle. Le personnage féminin principal gagne alors dans cette scène tout l’attachement émotionnel des spectateurs, une profondeur qui tient seul lieu de background et qui y suffit.


Visuellement, le film est très réussi. Si l’utilisation de la courte focale durant les scènes de dialogues n’apporte visuellement pas grand-chose (à part à quelques occasions, les personnages sont souvent laissés seuls dans le cadre), elle permet à l’inverse dans les plans d’ensemble (grandioses) de placer les personnages au milieu de grandes plaines. La troupe avance alors à dos de chevaux comme au milieu d’un univers oppressant, à l’instar de ce triple changement de valeur de distance dans la première moitié du film. Le travail de la photographie est remarquable. Déplaçant le Far-West connu des petits bourgs désertiques, ici le film se déplace du sud vers le nord en passant par des plaines verdoyantes, des forêts touffues et partageant le ciel avec le soleil perçant, une pluie battante vient s’abattre sur la troupe.


Le choix de l’ambiance sonore est en revanche assez déroutant. Là où le parti pris visuel est à la cruauté, l’ajout de la bande-son musicale, bien que somptueuse, de violons notamment atténue cette violence visuelle et rend l’ensemble moins engagé dans une démarche de violence, de volonté quasi-documentaire de la dureté de l’époque. C’est le premier des deux seuls points négatifs qui à mes yeux ont détériorés la qualité du film. La musique se fait trop présente à des moments où la scène elle-même crée un son suffisant à l’immersion totale, notamment dans cette scène sous la pluie où le sort continue de fondre sur les personnages. Le bruit de la pluie sur la toile comme un tambour et des deux hommes dans la boue crée une atmosphère pesante qui retient le spectateur de cligner une seule fois des yeux.


Le second point négatif tient malheureusement dans l’interprétation et la caractérisation du personnage de Christian Bale. L’archétype du vieux soldat qui a perdu ses compagnons sous les armes des sauvages qu’il combat ne pousse pas particulièrement à la sympathie dans les premières minutes du film. Encore plus aux vues de l’interprétation qu’en fait Christian Bale dans le bureau de son supérieur, des bribes de phrases inarticulées pour accentuer ce côté mystérieux. Aux antipodes du personnages de Mrs. Quaid, qui ne nécessitait autre présentation que la scène d’ouverture (avant même le titre du film), celui de Joseph aurait lui aussi du nous faire vivre ses souffrances (ou du moins certaines souffrances) au lieu de simplement en faire un être sombre et (assez) faussement caché derrière une carapace. Cependant ce point se rattrape (malheureusement vers la fin du film) lorsque le personnage perd l’un de ses derniers amis et qu’il pleure sur sa tombe.


C’est à ce moment que le personnage se retourne sur ses convictions pour enfin s’allier à la cause de l’indien qu’il escorte et tuer les hommes blancs qu’il défendait jusqu’alors. Le grand problème de ce personnage principal est que son malheur n’est vraiment ressenti qu’à ce moment et vient ternir l’arrivée d’une relation entre lui et son homologue féminin, la faisant passer pour une romance « fonction » (la romance pour la romance cinématographique) et non pour sa fonction de cocon protecteur et réparateur, et de surcroit, atténue le côté dilemme de la scène finale, qui passe moins comme une poursuite du train de l’amour, que comme une simple scène finale un peu romantique.


Après m’être étendu en longueur sur les défauts que je trouve au film, il faut bien rendre à Scott Cooper ce qui li appartient.


Une chose qui ne manquera pas de faire plaisir, bien que mitigé, c’est le détachement avec lequel le réalisateur tue les personnages secondaires. A la façon Game of Thrones, tout le monde va mourir pour le bien de la mission ou pour sa propre rédemption (sauf le sergent noir étonnamment). De Timothé Chalamet, nouvellement célèbre pour ses trois rôles (déjà) en 2018, à Paul Anderson, très talentueux dans la série Peaky Blinders, en passant par Ben Foster, génial dans le meilleur western des années 2010 Comancheria (seul western des années 2000 que j’ai vu), tous le monde finira par succomber à ce monde affreux du Far-West qui poussera les personnages à s’en aller vers Chicago. Cette facilité à tuer témoigne d’une réelle volonté du réalisateur de choisir des têtes plus ou moins connues du public et de minimiser leur importance. Ou pas. Il faut certainement plutôt y voir une volonté une nouvelle fois d’appuyer la violence, en faisant mourir des jeunes acteurs, ou des acteurs connus auxquels le public s’est attaché.


Avec Hostiles, Scott Cooper revient aux sources du voyage de la rédemption dans un film classique mais brutal. Malgré certaines décisions qui toucheront ou non le public, le film est efficace et bien construit. De quoi donner à attendre des prochains projets de Scott Cooper, qui, on l’espère, seront de plus en plus ambitieux.

NeilBelkacem
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2018

Créée

le 21 mars 2018

Critique lue 423 fois

Neil Belkacem

Écrit par

Critique lue 423 fois

D'autres avis sur Hostiles

Hostiles
Behind_the_Mask
9

Retour à la terre

Histoire d'un aller simple, Hostiles s'impose comme une ode au genre western qu'il investit, qu'il anime, qu'il magnifie. Scott Cooper a tout d'un grand et continue de questionner, tout au long de sa...

le 14 mars 2018

99 j'aime

18

Hostiles
guyness
7

Huns partout, Bale au centre

Aïe aïe aïe... Il ne faudrait surtout pas que la suite de la carrière de Scott Cooper soit calquée sur les dernières vingt minutes de son film. Le garçon est capable de fulgurances, on le sait depuis...

le 21 mars 2018

89 j'aime

44

Hostiles
Sergent_Pepper
7

« We’ll never get used to the Lord’s rough ways »

“The essential American soul is hard, isolate, stoic, and a killer. It has never yet melted.” La citation de D.H Lawrence, en exergue, et reprend le flambeau du grand western : coucher sur un papier...

le 15 avr. 2018

89 j'aime

6

Du même critique

Blade Runner 2049
NeilBelkacem
10

Tears in the snow

Et les Dieux du Cinéma se sont tous donnés la main dans un but unique : donner la meilleure suite possible à l'un des meilleurs films de Science-Fiction (d'aucuns disent meilleur que 2001 ou...

le 6 oct. 2018

3 j'aime

Un peuple et son roi
NeilBelkacem
3

La révolution flottante.

14 Juillet 1789, un bébé se meurt, non loin de la Bastille. Dans la liesse générale , la mort est bien présents comme le recto d'une pièce commune, partagée avec la vie. La révolution française a un...

le 8 oct. 2018

2 j'aime

Crows Zero
NeilBelkacem
8

Jus de bagarre

Crows Zero, de l’hyper productif Takashi Miike , est l'adaptation live-action du manga pour adolescent (shonen): Crows d'Hiroshi Takahashi. Dans le lycée de Suzuran, au Japon, année après année, les...

le 28 sept. 2018

2 j'aime