Le charme pas très discret de la bourgeoisie

Stephen Byrne, un écrivain bourgeois, vit avec sa femme Marjorie et ses servantes dans une riche demeure près d’un fleuve. Un jour, lorsqu’il se retrouve seul avec la jeune servante Emily Gaunt, il tente de la violer puis finit par l’étrangler pour étouffer ses cris. C’est à ce moment-là que débarque son frère John Byrne, comptable estropié, qui accepte malgré lui de l’aider à se débarrasser du corps dans le fleuve. 


Entre commérage et non-dits, Fritz Lang dresse un tableau de la bourgeoisie des années 50 à partir d’un lieu intime : la maison. Depuis la fenêtre ou le rideau, dans un jeu permanent avec le hors champ, la maison est véritablement le lieu où l’on peut voir sans être vu, et être vu sans le savoir. Le noir et blanc ne fait pas écran avec des jeux de lumières, bien au contraire, la mise en scène nous fait comprendre lorsqu’on se trouve dans le noir, en mettant l'accent sur les ombres portées (dans une esthétique expressionniste allemand). Pensons notamment à ce motif qui revient à deux reprises : dans un premier temps lorsque Emily descend les escaliers et qu’elle sent la présence de Stephen, mais sans le voir (puisqu’il est dans le noir), et dans un second temps, il se passe exactement la même chose mais avec sa femme. Ce procédé qui apparaît au début nous communique déjà une information : Marjorie va connaître le même sort que la servante Emily. 


Le délire psychologique fiévreux de l’écrivain nous est dévoilé progressivement, tout d’abord indifférent au meurtre qu’il vient de commettre, il commence à y prendre du plaisir. Petit à petit, il va façonner son comportement en fonction de la progression de l’histoire qu’il écrit en parallèle : “Le meurtre de la rivière, By Stephen Byrne” (ironiquement), jusqu’à essayer de tuer sa femme, ainsi que son frère en faisant passer sa mort pour un suicide. 


Mais si le protagoniste échappe à la justice, le fleuve se charge de faire ressurgir la souillure de son âme - qu’il tentera en vain de dissimuler. Le fleuve, critiqué notamment au début du film par la voisine Mme Ambroise, est un flux continu et sale qui menace de révéler les secrets qui tentent d’être dissimulés. C'est l’intériorité des personnes qui habitent ces maisons bourgeoises le long du fleuve qui ressurgit. C’est pour cela que Stephen cherche éperdument à cacher ce qui menace d'apparaître à la surface. En effet, c’est un romancier. C’est lui qui raconte l’histoire, qui choisit ce qu’il veut montrer ou non. Il opère une sélection dans ce qu’il choisit de dire et faire être. Ainsi, bien qu’il semble impassible au meutre qu’il a commis, il y a une chose qui lui est insupportable : c’est que l’on sache ce qu’il a fait. C’est un trait intéressant, puisqu’il donne de la consistance au statut du personnage, c’est à dire un homme bourgeois privilégié à l’abri des accusations, qui ne se préoccupe que des apparences. Et cela, il l’a compris dès le début lorsqu’il passe la soirée à boire et danser quelques heures après avoir jeté le corps de sa servante dans le fleuve avec son frère. Ou encore lorsqu’il envoie lui-même à la presse sa photo pour qu’elle apparaisse dans le journal, aux côtés de la disparue Emily. 

sofion
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le 16 nov. 2024

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sofia ehrlacher

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